abc Burkina |
Série de 10 fiches introductives pour comprendre l'Accord sur l'Agriculture (AsA) de l'OMC. 6. Les MGS spécifiques liés à des prix administrés n'ont aucun sens économique mais permettent aux pays développés de faire semblant de réduire leurs soutiens couplés |
Par Jacques Berthelot (berthelot@ensat.fr,
http://solidarite.asso.fr/actions/Agriculture.htm) 1) Les MGS (Mesure Globale de Soutien) spécifiques par produit liées à des prix administrés tels que les prix d'intervention dans l'UE sont la composante essentielle de la MGS totale, mais n'auraient aucun impact par elles-mêmes sur les prix intérieurs sans leur coexistence avec des mesures de soutien des prix bien plus déterminantes telles que la protection à l'importation, les subventions à l'exportation, les quotas de production, le gel des terres et l'aide alimentaire extérieure et intérieure. L'absence de prix administrés, donc de MGS spécifique, pour les volailles et les oeufs au Canada n'empêche pas leurs prix élevés liés à une forte protection à l'importation et une maîtrise efficace de l'offre. A contrario le prix élevé des produits laitiers aux USA n'est pas lié aux prix administrés existants, restés très inférieurs aux prix du marché et donc non activés, mais à la très forte protection à l'importation. Pourtant la MGS des produits laitiers y est restée la 1ére des MGS spécifiques (plus de 4 milliards de $ par an) avant d'être dépassée de 1999 à 2001 par les marketing loan payments. De même la MGS liée au prix d'intervention du sucre de l'UE a représenté 5,9 milliards d'€ en 2000-01 (et des montants comparables les années précédentes), bien que des achats d'intervention n'aient eu lieu qu'une seule fois en 25 ans car le prix élevé du sucre a été maintenu par une très forte protection à l'importation et par l'existence de quotas de production[1].De même les MGS liées aux prix d'intervention du beurre et de la poudre de lait écrémé ont représenté en 2000-01 pour l'UE 5,951 milliards d'€, alors que les dépenses de l'organisation commune du marché (OCM) des produits laitiers n'ont été que de 1,907 milliards d'€. 2) La MGS spécifique par produit lié à un prix administré n'a en fait aucun sens économique, étant définie comme l'écart entre le prix administré actuel et le prix mondial de référence de la période de base 1986-88, écart multiplié par la production susceptible de bénéficier du prix administré. Comme l'OCDE l'a souligné, "la MGS n'est pas liée à la variation des prix intérieurs ou mondiaux. Si le déclin séculaire des prix mondiaux…persiste, le soutien effectif augmentera mais la MGS n'en sera pas affectée… De même, si les cours mondiaux remontent, le soutien effectif diminuera mais la MGS ne s'en trouvera pas modifiée"[2]. L'exemple du blé tendre de l'UE illustre ce constat : puisque le prix d'intervention est fixé à 101,3 €/tonne depuis juillet 2001 et que le prix mondial de 1986-88 était de 86,5 €/t, la MGS/t est restée à 14,8 €/t bien que le prix mondial du blé (SRW2, FOB USA) ait augmenté de 103 $/t en 2000/01 à 115 $/t en 2001/02, 142 $/t en 2002/03 et 153 $/t en 2003-04 : la MGS/t n'a pas changé bien que le soutien réel, mesuré par l'écart prix mondial-prix d'intervention et concrétisé par le niveau des stocks publics d'intervention, ait fortement baissé! 3) La suppression du prix d'intervention de la viande bovine depuis le 1er juillet 2002 a été le tour de passe-passe ayant permis à l'UE de réduire du jour au lendemain de 11,9 milliards d'€ sa MGS totale, sans incidence sur le prix du marché : après l'impact dépressif de la seconde crise de l'ESB de 2000-2001, le prix au producteur a augmenté de 7,4% en 2002 et de 0,9% en 2003, et l'OFIVAL prévoyait une hausse de 4% en 2004. Et ce malgré l'effondrement des stocks d'intervention de 222 500 t fin 2001 à 213 t fin 2003, car d'autres facteurs ont joué à la hausse du prix : baisse de production liée aux quotas laitiers, maintien de droits de douane élevés (66% sur la viande sans os fraîche ou réfrigérée, 100% sur la viande sans os congelée et 16.6% sur les conserves). L'OCDE reconnaît ainsi que "l'exclusion du soutien des prix du marché dans les cas où les prix administrés n'existaient pas laisse aux Etats une large marge de manoeuvre pour choisir leurs instruments d'action (par exemple… en éliminant les prix administrés pour les pays qui en disposaient durant la période de base, tout en continuant à apporter le même niveau de soutien par des mesures à la frontière"[3]. Ce constat ne plaide nullement pour supprimer les prix d'intervention et le stockage public – car elles sont les composantes majeures d'une politique de maîtrise de l'offre –, mais celles-ci ne peuvent être efficaces sans le préalable d'une forte protection à l'importation. 4) Compter les MGS liées à des prix administrés comme des soutiens couplés astreints à réduction de 20% par l'Accord sur l'Agriculture (AsA) a abouti à compter 2 fois (avec la protection à l'importation) voire 3 fois (si en plus subventions à l'exportation) les obligations de réduction[4]. 5) Il faut donc éliminer purement et simplement de l'AsA les MGS liées aux prix administrés qui permettent aux pays développés de faire semblant de réduire leurs soutiens internes couplés alors qu'il n'en est rien ou qu'ils augmentent leurs subventions prétendues découplées. Puisque le paragraphe 9 de l'Accord cadre de l'OMC du 31-07-04 stipule : "les MGS par produit seront plafonnées à leurs niveaux moyens respectifs selon une méthodologie à convenir", il faut les éliminer en ne le laissant dans la MGS totale (MGS spécifiques par produit et MGS autre que par produit) que la composante subventions. Selon l'année fixée pour le plafonnement des MGS par produit, l'UE pourra en effet accroître plus ou moins fortement l'ensemble de ses soutiens couplés puisque ses MGS spécifiques ont baissé des 43,7 milliards d'€ notifiés en 2000-01 à environ 30 milliards d'€ le 1er juillet 2002 et seront à environ 19,7 milliards d'€ à partir de 2007-08. 6) Par contre il faut supprimer les exemptions de minimis pour les pays développés et surtout supprimer la distinction entre les subventions couplées (boîtes orange et bleue) et découplées (boîte verte) en ce qui concerne celles allant à des produits exportés puisque, en permettant de réduire les prix agricoles en dessous des coûts de production, leur effet de dumping est le même que celui dû à des subventions à l'exportation. Par contre il n'y a aucune raison d'exiger que les pays, y compris développés, réduisent leurs soutiens internes, couplés ou découplés, dès lors qu'ils ne bénéficient pas à des produits exportés car cela ne porte pas préjudice aux autres pays.[1] Rapport du Groupe spécial sur "Communautés européennes – Subventions à l'exportation de sucre. Plainte de l'Australie", OMC, WT/DS265/R, 15 octobre 2004, paragraphe 7.245. [2] OCDE, L'Accord sur l'agriculture du cycle d'Uruguay. Une évaluation de sa mise en œuvre dans les pays de l'OCDE, 2001, p. 69. [3] OCDE, Mesure de soutien à l'agriculture et méthode d'évaluation des politiques, 2002. [4] De Gorter H., Ingco M., The AMS and domestic support in the WTO trade negotiations on agriculture: issues and suggestions for new rules, Séminaire de la SFER sur "Europe/Etats-Unis. Regards croisés sur les politiques agricoles", Paris, 9-10 October 2002, pp. 43-53.
|
Accueil - Politiques agricoles et Pays du Sud - Actualités - Actualités du coton |