a b c B u r k i n a

Réponse à M. Salif Diallo (22 juillet 2002)

Baisse du prix du coton : La drôle de riposte de Salif Diallo

DÉBAT

J’apprécie très positivement les sorties médiatiques de monsieur le Ministre sur toutes les questions importantes liées au développement du secteur agricole. Elles permettent aux lecteurs de la presse de connaître les grandes orientations et décisions prises ainsi que les actes posés par les premiers responsables.

Je comprend également que c’est une invite au débat et aux échanges.
Malheureusement, du constat que je fais, les sujets de politique économique et sociale semblent intéresser très peu les citoyens. Les cadres au premier chef ne réagissent pratiquement pas ou très peu aux positions des autorités sur des questions d’importance, quoique je reste persuadé que sur plus d’un sujet ils ne sont pas toujours de leur avis. Mieux, ils ont des propositions.
Les séminaires, ateliers et autres fora ne sont pas les seules tribunes où les intellectuels peuvent apporter leur contribution à la réflexion sur le développement. Je pense que les colonnes de la presse nationale sont également gracieusement offertes. Alors profitons-en !

Ma contribution se situe dans ce cadre et s’articule de trois points.

1) Le coton n’est pas le seul produit agricole touché par la politique de dumping des USA

Il n’ y a pas de doute que le coton est une culture stratégique pour notre pays comme le dit M. Le ministre : 2 000 000 de producteurs concernés, plus de la moitié des recettes d’exportation du Burkina, etc. Cependant, ce n’est pas le seul produit agricole qui est concerné par la décision du président américain de subventionner l’agriculture contre les règles du commerce international.

 Ceci dit, les Américains ne sont pas les seuls à recourir à de telles pratiques.
M. Le ministre cite entre autres filières à développer au cours des prochaines années celles du riz, du maïs et des légumes. Je m’appesantirait sur le riz dont la production nationale souffre déjà depuis longtemps entre autres maux de la concurrence du riz importé dont le riz américain subventionné à l’exportation et bradé sur le marché national. La question de mévente de la production nationale de riz a même fait l’objet d’une brûlante mise en scène dans la série télévisée VIS- A-VIS. Regardez un peu sur le marché local et vous vous rendrez compte de la présence du riz américain.

Le consommateur burkinabè pour diverses raisons (faiblesse du pouvoir d’achat, meilleure qualité des produits importés) se soucie très peu de la provenance des produits agricoles qu’il a dans son assiette. Ce qui est dommage car ce comportement dénote d’un manque de patriotisme.

Posons-nous la bonne question avant d’acheter tel ou tel produit : qui est-ce que j’enrichit ou qui est-ce que je fais vivre en achetant ce produit ? Il est évident que si tous les Burkinabè se mettent à consommer du riz américain ou thaïlandais pour une raison ou pour une autre, le paysan burkinabè cesserait ou presque de produire du riz. Ce qui le priverait naturellement d’une source de revenu, donc le rendrait encore plus pauvre. 

Aussi les grands aménagements hydroagricoles réalisés à coup de  milliards (Sourou, Bagré) et souvent contre l’avis de certains bailleurs de fonds ne serviraient à rien ; c’est de l’argent qu’on aurait jeté par la fenêtre.

Alors, quelles sont les dispositions qui sont prévues par le politique pour protéger nos producteurs de riz, seul gage pour la promotion d’une filière riz ?

Je dis bien protection car il s’agit de les mettre à l’abri de la concurrence déloyale des produits agricoles du Nord dont la quasi-totalité est subventionnée à l’exportation vers les pays pauvres.

2) Va-t-on ressusciter Faso Fani alors qu’on vient de l’enterrer ?

Plus d’un lecteur sera surpris que M. le ministre évoque le développement de structures de filature et de confection de tissu comme pouvant compléter la chaîne de production-transformation du coton dans l’objectif de créer plus de valeur ajoutée pour le pays. Quand je pense aux péripéties que l’usine Faso Fani (qui n’était rien d’autre que la structure que M. le ministre évoque dans sa vision) a suivi jusqu’à sa fermeture récente faute de repreneur, je comprends très mal qu’une telle proposition soit d’actualité de sitôt. Qui est-ce qui a donc fondamentalement changé dans le paysage économique burkinabè pour que l’on puisse si rapidement revenir à un tel projet ? A quoi pense M. le ministre ?

J’ose espérer que l’Etat ne fera pas la maladresse de créer de son propre chef
une société dans ce secteur d’activité quel que soit le soutien financier dont il peut bénéficier et saura tirer les leçons toutes fraîches de son expérience. D’ailleurs, la structure (industrielle) telle que proposée par M. le ministre n’est pas la seule alternative pour créer de la valeur ajoutée. La promotion du Faso Danfani sous un certain régime est une autre expérience dont on n’a pas tiré toutes les leçons. Je ne me pencherai pas sur le mode contraignant qui a été utilisé pour la promotion de ce produit mais plutôt sur les retombées économiques induites par le comportement obligé, j’en conviens, des citoyens. Il est incontestable que ce comportement a créé des milliers d’emplois pour nos mères et sœurs dans le domaine du tissage, de la commercialisation, de la couture, etc. Aucune usine à l’échelle nationale ne pourra créer autant d’emplois directs, particulièrement au profit des femmes. Alors, si ce n’est que la manière qui a été mauvaise comme on s’accorde majoritairement à le dire (port sous contrainte), pourquoi ne pas procéder autrement tout simplement ? Convaincre au lieu de contraindre !

La création d’industries n’est pas synonyme de développement comme on peut le croire très souvent. Il faut qu’elle soit soutenue en amont par une production et/ou une disponibilité de matière première et en aval par un marché sûr et solvable. 

Si nous examinons le contexte sous-régional actuel il n’est pas du tout favorable dans le domaine du textile industriel à notre pays pour au moins trois raisons :

* Depuis que Faso Fani est fermé, les impressions d’étoffes spécifiques (pagnes à motif religieux et autres) se font essentiellement en Côte d’Ivoire. Ce pays semble avoir un avantage comparatif par rapport au Burkina ; pour preuve, toute qualité gardée, le prix des pagnes n’a pas augmenté après la fermeture de l’usine Faso Fani. Visiblement, il y a plus d’expertise ivoirienne.

* Le Mali est le premier producteur de coton dans l’Ouest africain et le second après l’Egypte à l’échelle du continent. Il dispose d’un meilleur atout en terme de disponibilité de matière première dans l’espace UEMOA.

* Enfin la densité des usines textiles dans la sous-région ne recommande pas pour l’instant la création d’une nouvelle unité au Burkina Faso. En plus de la Côte d’Ivoire et du Mali que je viens de citer, le Niger, le Ghana voisins et le grand Nigeria disposent d’unités industrielles qui inondent notre marché de produits de qualités variables parmi lesquels chacun peut trouver son compte.
Alors ne faisons pas ce que tout le monde fait, mais recherchons des solutions plus originales et viables.

3) Quel drôle de riposte ?

Le titre de l’article m’a bien séduit plus que la substance des propos de M. le
ministre. En rapport avec le titre de l’article, je m’attendais à une réaction énergique à la hauteur de l’affront que les Américains ont lancé à la communauté internationale tout entière en bafouant les règles du commerce international qu’ils se sont évertués à fixer pour garantir un marché planétaire à leur production (mondialisation).

Je me rends compte à la lecture des propos de M. le ministre qu’il ne s’agit pas d’une riposte mais d’une simple plainte que le Burkina va déposer avec le soutien d’autres pays auprès de l’OMC contre les USA. Une telle plainte a-t-elle la chance d’être entendue par les Américains ? Je dirai très peu, pour plusieurs raisons :

* La première c’est que l’Afrique compte pour très peu dans le commerce international (moins de 3 % si je ne me trompe). Que représenteraient alors le Burkina et ses supporters ? Assurément une part insignifiante alors qu’en matière de négociations commerciales c’est le poids commercial en terme de volume et de valeur de marchandises échangées qui déterminent sa force de parole. Celle du Burkina sera inaudible. Quand l’Europe a réagi à cette décision du président américain, c’est en brandissant l’arme du boycott et de l’augmentation des droits d’entrée de certains produits américains sur son espace ; toute chose que les Américains redoutent.

* La seconde est que le Burkina ne disposent d’aucune matière première stratégique pour les USA. D’ailleurs, ce n’est que depuis peu que les Américains s’intéressent à l’Afrique comme partenaire commercial. On se souvient encore de la tournée du président Bill Clinton en Afrique et de son message qui ne souffre d’aucune ambiguïté : «trade, not aid».

* La dernière est que l’Afrique et le Tiers-Monde n’ont pas pu se faire entendre lors des négociations commerciales qui ont abouti à la fixation des premières règles de l’OMC. Ils ont plutôt été les spectateurs d’une bataille des grands (USA/UE) ; or c’est là qu’il faut gagner les batailles. 

Que faire donc face à une telle situation ? 

Le Burkina Faso, à l’instar de la grande majorité des pays pauvres, meuble le paysage des institutions comme l’OMC et M. le ministre l’a si bien illustré en déclarant : «on ne peut pas nous pousser à adhérer et à ratifier la convention de création de l’OMC et en un tour de main mettre près de 170 milliards de franc de subvention dans les mains des seuls producteurs agricoles américains». Il faut en plus de la réaction de principe qui est toutefois légale et légitime que chaque citoyen soit sensibilisé à avoir le bon réflexe dans son comportement quotidien ; celui de dépenser pour la survie de la grande majorité des burkinabè que sont les agricultures. Rassurons-nous, au Nord c’est un réflexe de vie. Un Belge consommera en priorité un produit belge et à défaut un produit de substitution de l’Union européenne. Il n’achètera un produit étranger (hors Union) que s’il n’est pas produit sur place, donc non concurrentiel. 

Si nous ne prenons garde, nous contribuerons consciemment ou inconsciemment à tuer notre agriculture et, par-là ses acteurs (agriculteurs) ; toute chose qui ne déplairait pas aux pays du Nord car ils verraient s’élargir des marchés pour absorber leurs excédents de production.

Pour terminer mon propos, j’invite une fois de plus les cadres et praticiens des ministères à réagir plus souvent aux visions, décisions et orientations politiques de nos premiers responsables car ils n’ont ni le monopole du savoir, ni celui de la décision. Aidons-les à rester sur le bon chemin au nom de la responsabilité que chacun de nous porte par rapport au devenir de ce pays.

Jean-Paul Rouamba
01 BP 3247 Ouagadougou 01

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