« Le franc CFA m’a “tuer” ! »

A l’occasion de sa parution, le 12 mai, le Rapport Cyclope 2009, ouvrage de référence sur les marchés mondiaux de matières premières, souligne l’agonie des filières en zone Franc qui subissent l’Inde et surtout le franc CFA. Ailleurs en Afrique, notamment au Zimbabwe, la situation n’est pas comparable. Le point de vue de Gérald Estur, co-auteur du rapport.

Fillette transportant du Coton (Burkina)Les Afriques : La crise semble signer la mort des filières cotonnières en Afrique francophone. Quelle est votre analyse ?

Gérald Estur : Il y a eu une petite phase d’espoir pour les filières africaines au début de l’année dernière avec l’envolée des cours dopés par la spéculation, mais qui s’est vite éteinte. Pour la première fois depuis trois ou quatre campagnes, on pouvait espérer revenir à l’équilibre des comptes, à payer des prix suffisamment rémunérateurs aux producteurs pour qu’ils aient recours aux intrants. Mais on a très vite déchanté au bout de trois ou quatre mois. On est retombé au niveau des cours d’il y a deux ans, situation dans laquelle la filière se morfondait entre 2004 et 2007. On s’est retrouvé plongé avec des déficits cumulés considérables.

« On a beaucoup mis la faute sur les subventions américaines. Mais la production américaine perd un million de tonnes tous les ans... Le véritable coupable derrière tout ça, c’est le franc CFA. »

Toutes ces filières, ou pratiquement toutes, sont en perdition : elles ont été recapitalisées par l’Etat. Même de belles filières sont en difficulté.

On a beaucoup mis la faute sur les subventions américaines. On le dit encore souvent en Afrique. Mais il faut tout de même prendre du recul. Ce n’est pas la production américaine qui est l’élément clé. J’aurais tendance à dire que le coupable, c’est l’Inde, ce n’est pas les Etats-Unis. La production américaine perd un million de tonnes tous les ans...

Mais le véritable coupable derrière tout ça, c’est le franc CFA : « Le franc CFA m’a “tuer” ! »

LA : Donc il y a deux coupables : le franc CFA et l’Inde ?

GE : Le franc CFA est resté accroché à l’euro – on a raté le coche au moment du passage à l’euro – et l’euro s’est envolé ! Certes, lorsqu’on est dans un ensemble de pays, certains profitent de la situation plus que d’autres. Mais là, on a clairement arbitré en faveur des pays qui profitent d’un franc CFA fort, à savoir les importateurs et certaines élites qui envoient leurs enfants à l’étranger. Si on était resté au niveau d’un dollar pour environ 600 francs CFA, on n’aurait pas parlé de déficit tous les ans. Or, il y a eu des déficits considérables. Au Mali, on est quasiment à 200 milliards FCFA.

Manifestation des producteurs de coton à Ouagadougou avant la rencontre ministérielle de l'OMC à Hong-Kong en décembre 2005Toutes les sociétés cotonnières en zone Franc sont virtuellement en faillite. Et c’est le cercle vicieux : on ne peut pas payer un prix suffisamment rémunérateur au producteur. On ne peut pas non plus expliquer à un producteur qu’être payé 150 FCFA le kilo aujourd’hui c’est plus en parité de pouvoir d’achat, en mobylettes chinoises, que ce n’était en 2002 ; 150 francs CFA aujourd’hui, c’est l’équivalent d’au moins 220 FCFA ou plus d’alors. Mais ce discours, bien entendu, ne passe pas !

Malheureusement, le prix des intrants ayant augmenté, c’est l’effet ciseaux. Les gens se retrouvent avec plus rien du tout. Les sociétés sont elles-mêmes en difficultés, donc on paye les gens avec un lance-pierre ou on ne les paye pas. Et lorsqu’on annonce un prix à 200 FCFA, comme cela a été le cas l’année dernière au Mali, les gens n’ont pas plus fait de coton, car ils n’étaient toujours pas payés des 160 francs de l’année précédente. Au Togo, les producteurs n’ont pas été payés pendant deux ans : il y a eu une perte de confiance généralisée vis-à-vis de la filière. Ceci a été le cas sur quasiment tous les pays de la sous-région, sauf peut-être au Burkina.

LA : Dans les autres pays africains producteurs de coton, hors CFA, notamment en Afrique de l’Est, la situation est bien meilleure…

GE : Ils n’ont pas le franc CFA ! On a souvent vu, lors de discussions internationales, les Africains de la zone Franc monter au créneau en disant : ce sont les subventions, les prix s’effondrent, etc. Mais leurs collègues d’Afrique de l’Est ne comprennent pas, car le cours est à 60 cents alors qu’il était à 50 avant... C’est l’effet du taux de change, du CFA !

LA : Comment les autres pays cotonniers, hors CFA, résistent-ils à la crise actuelle ?

GE : Il y a des difficultés, car les prix ont chuté entre les mois de juillet et de novembre, mais ces difficultés ne sont pas du même ordre que celles des sociétés cotonnières africaines de zone Franc. Surtout, il n’y a pas de déficit accumulé. La crise permet d’éliminer les marginaux, ceux qui sont venus simplement par opportunisme. On revient à des gens plus sérieux.

LA : Face à l’Inde, comment la fin de l’année se présente-t-elle ?

GE : L’Inde a fait un grand coup d’accordéon : elle faisait 1,5 Mt, c’était le deuxième exportateur mondial et elle le demeure, mais avec moins d’un million de tonnes. Cependant cela va revenir, car on voit le retour des Etats, notamment en Inde. Même si le secteur est totalement libéralisé, il y a un prix minimum de soutien d’intervention de l’Etat, de l’ordre de 225 FCFA. On dit que c’est beaucoup, mais il faut voir que l’essentiel du marché du coton indien, même si c’est un exportateur important, c’est le marché national. L’Etat a acheté une bonne partie de la récolte et elle se trouve toujours entre ses mains. Donc lorsqu’on dressera le bilan des subventions par pays, cela fera des montants importants.

On voit bien que le grand concurrent de l’Afrique, c’est l’Inde. Non seulement l’Afrique a perdu ce marché, mais il est devenu son concurrent, car il a créé des habitudes, ne serait-ce que par sa proximité géographique : les frais d’évacuation sur le marché chinois sont moins élevés. En 2002/03, les Indiens importaient 500 000 t dont une bonne partie de cotons africains. Maintenant c’est quasiment zéro et l’Inde envoie 1,5 Mt sur le marché chinois.

Propos recueillis par Bénédicte Châtel, Paris
Paru en juin 2009, dans « Les Afriques »

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