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Accra, le 19 janvier 2005 :

 La Politique agricole de la Communauté Economique des Etats  de l’Afrique de l’Ouest, dénommée ECOWAP, est adoptée. 

 Le 19 janvier 2005, la conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Afrique de l'Ouest a adopté la Politique agricole de la Communauté Economique des Etats  de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO, en anglais ECOWAS), dénommée ECOWAP. 

Voici, rapidement, nos premiers commentaires :

1. Il s'agit d'une bonne nouvelle !

1.1. La place prépondérante de l'agriculture dans l'économie de l'Afrique de l'Ouest est enfin reconnue.

Elle fait l'objet du premier "considérant" du document signé par les Chefs d'Etat et de Gouvernement : 

"CONSIDERANT la place prépondérante de l’agriculture dans l’économie ouest-africaine et le rôle d’entraînement que son développement est susceptible d’exercer sur les autres secteurs économiques ;". 

Que de chemin parcouru depuis les indépendances ! Que de chemin parcouru depuis ce jour, dans les années 70, où j'interrogeai un candidat à la députation à l'Assemblée Nationale sur le programme de son parti en faveur des paysans ! Ce jour-là, il m'a été répondu : "Oh ! les paysans ! On ne les craint pas !"

1.2. La souveraineté alimentaire est également reconnue.

Le 1° objectif spécifique l'a mentionne explicitement :

a.       Objectif spécifique n°1 : assurer la sécurité alimentaire de la population rurale et urbaine ouest africaine et la qualité sanitaire des produits, dans le cadre d’une approche garantissant la souveraineté alimentaire de la région ;

Le premier défi majeur et l'objectif spécifique n°2 y font également allusion :

Le premier défi majeur  est celui de nourrir convenablement une population ouest africaine de plus en plus nombreuse et fortement urbanisée. La politique agricole communautaire opte prioritairement pour l’augmentation de l’offre régionale pour satisfaire les besoins alimentaires. 

Objectif spécifique n°2 : réduire la dépendance vis-à-vis des importations en accordant la priorité aux productions alimentaires ainsi qu’à leur transformation, par la valorisation et l’exploitation des complémentarités et des avantages comparatifs au sein de la région tout en tenant compte des spécificités liées au caractère insulaire ou enclavé de certaines zones rurales ou pays ; 

1.3. La vision qui inspire ce document reconnaît l'efficacité et l’efficience des exploitations familiales.

La encore, que de chemin parcouru depuis 3 ou 4 ans, quand tel ministre de l'agriculture ne supportait pas d'entendre parler d'exploitations familiales. Pour lui, c'était synonyme de misérabilisme et d'archaïsme. Même si le document donne aussi la part belle à "la promotion des entreprises agricoles".

La vision : La politique agricole s’inscrit dans la perspective d’une agriculture moderne et durable, fondée sur l’efficacité et l’efficience des exploitations familiales  et la promotion des entreprises agricoles  grâce à l’implication du secteur privé. Productive et compétitive sur le marché intra- communautaire et sur les marchés internationaux, elle doit permettre d’assurer  la sécurité alimentaire et de procurer des revenus décents  à ses actifs. 

Il est intéressant aussi de noter que cette vision affirme clairement que cette agriculture se doit de procurer des revenus décents à ceux qui en vivent !

1.4. L'engagement des états de consacrer 10 % de leur budget à l'agriculture a été rappelé.

Ceci est rappelé dans le texte portant adoption de l'ECOWAP en ces termes :

RAPPELANT l’engagement pris lors de la Conférence Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union africaine à Maputo, en juillet 2003 d’allouer au moins 10 % des budgets d’investissements nationaux au développement du secteur agricole afin d’améliorer la productivité et de réduire l’insécurité alimentaire ;

1.5. Enfin, cette politique agricole commune ECOWAP a été adoptée avant que les négociations sur le TEC (Tarif extérieur Commun) de la CEDEAO soient achevées.

Il y a là un progrès certain par rapport à ce qui s'est passé au niveau de l'UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine). La PAU (Politique Agricole de l'Union (de l'UEMOA) n'a jamais été appliquée. C'était un bébé mort-né. En effet, le TEC de l'UEMOA a été mis en place avant qu'on s'intéresse à une politique agricole commune. Or ce TEC de l'UEMOA est de conception très libérale. Il ne permet pas de protéger son agriculture. Il a simplement permis de faire une expérience grandeur nature, et de vérifier que le libéralisme ne marche pas pour l'agriculture, et pas du tout pour l'agriculture de l'Afrique de l'Ouest.  Il suffit de pénétrer dans un magasin d'alimentation de n'importe qu'elle ville de l'UEMOA pour s'en rendre compte.

2. Une bonne nouvelle... mais tout reste à faire !

Nous pensons sincèrement que ce document est de qualité et qu'il marque une avancée significative dans la reconnaissance de l'agriculture dans le développement de l'Afrique de l'Ouest. Les intérêts des petits agriculteurs sont également pris en compte. Mais tout reste à faire. Il y a quelques mois les ministres du commerce de l'Afrique de l'Ouest pensaient encore, pour l'essentiel, appliquer le TEC de l'UEMOA à l'ensemble de la CEDEAO. Ils pensaient achever ce travail en décembre 2004. Ils ont dû reculer. Aujourd'hui, nous disposons encore de quelques mois (jusqu'en décembre 2005) pour peser de tout notre poids pour que le TEC qui sera adopté en principe en décembre 2005 ne compromette pas l'application de l'ECOWAP. D'autres menaces pèsent sur cette politique agricole. Je veux parler des négociations qui ont lieu à l'OMC (et qui doivent, en principe, aboutir également en décembre 2005 à HongKong). C'est dire qu'il faut faire vite. Nous reviendrons sur cette question pour voir ce qu'il y a lieu de faire. Voici déjà ce que l'on peut dire aujourd'hui.

2.1. Participer au débat sur l’adaptation du régime commercial extérieur en fonction des conditions spécifiques du secteur agricole

En décembre 2005, la plupart des décisions seront prises au niveau du TEC, de ses catégories, des produits qui devraient être davantage protégés et recevoir un traitement spécial, des taxes conjoncturelles. Il faudra aussi que ce dossier soit défendu à l'OMC, et tout spécialement à HongKong. 

Il nous reste donc peu de temps pour peser sur ces négociations. C'est pour cela que dès le mercredi 2 février la CPF (Confédération Paysanne du Faso) s'est réuni avec quelques autres organisations de la société civile pour faire une première liste de produits sensibles qui méritent un traitement spécial : dans notre esprit ce traitement spécial serait que ces produits seraient retirés du TEC et que la CEDEAO se réserverait le droit d'appliquer des taxes à l'importation, variant en fonction du marché mondial, et suffisamment hautes pour assurer une protection efficace et donc des revenus décents aux acteurs de ces filières. En somme, il s'agit des produits sur lesquels la CEDEAO veut assurer son droit de souveraineté alimentaire. 

Voici la liste de ces produits. Il s'agit d'un premier travail qui devra être complété au cours de différentes rencontres, tant au niveau national que régional.

le riz  / le blé, la farine de blé et les pâtes alimentaires / le lait et les produits laitiers / les pommes de terre / la viande (boeuf, volaille...) / le concentré de tomate et les confitures / les huiles alimentaires / le sucre / le miel

Cette liste mériterait quelques explications. Je mentionnerais seulement que nous avons dû échanger assez longuement entre nous avant d'inscrire le blé sur notre liste : nous ne cultivons pas de blé, mais le blé (la farine de blé et les pâtes alimentaires) concurrence directement les autres céréales comme le maïs, le mil et le sorgho. Les taxes sur le blé devraient permettre de développer la recherche pour de nouveaux produits alimentaires à base de maïs, mil ou sorgho qui pourraient concurrencer le pain, les biscuits et les pâtes alimentaires à base  de farine de blé.

2.2. Cette politique agricole commune est un outil remarquable pour les négociations futures : elle mérite une large diffusion.

Les Organisations Paysannes, notamment celles qu'on appelle faîtière, auraient certainement intérêts à organiser des ateliers de formations pour aider ses membres à se l'approprier.

Il faut absolument la traduire en français courant et en différentes langues nationales. Le SEDELAN est prêt à s'atteler à ce travail.

 

Koudougou, le 5 février 2005
Maurice Oudet

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