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La mini laiterie de Bittou

Ce document fait suite au n° 118 d’abc Burkina ayant pour titre :

« Allons-nous assister, impuissants, à l’ethnocide, voire au génocide, des éleveurs traditionnels, les peuls ? »

Il manifeste bien qu’une alternative à la situation actuelle est possible, mais aussi qu’il est urgent d’obtenir une taxation sensible du lait en poudre importé.

En provenance du Ghana, j’ai passé la nuit à Bittou (au Burkina Faso, mais proche de la frontière du Ghana et du Togo). Je voulais visiter la mini laiterie de Bittou dont j’avais entendu parler au Burkina, mais aussi par une femme peule de Garu au Ghana. Je n’ai pas été déçu !

Arrivé à 7 heures du matin devant la laiterie, je vois trois femmes peules qui balayent la cour et les bâtiments. Je me dis que j’ai enfin trouvé une laiterie aux mains des éleveurs traditionnels. La gérante étant absente, je suis accueillie par Madame Nanema Kadissou, animatrice.

Madame Nanema me fait d’abord l’historique de la laiterie.

Elle a été fondée en 1990, bien qu’à cette date il s’agissait d’un centre de formation orienté vers les femmes des éleveurs traditionnels. Bittou avait été retenu pour cette expérience, car il s’agit d’une zone pastorale. Il y avait donc un centre de formation sur place à Bittou, mais des animateurs circulaient aussi dans toute la région. Ils animaient 35 groupements d’éleveurs.

A partir de 1995, grâce à l’appui de deux projets de développement (acquisition de matériels…) le centre s’est orienté vers la transformation du lait.

En l’an 2000, le centre a pris son autonomie et a été privatisé sous la forme d’un Groupement d’Intérêt Economique. Il y avait alors 6 actionnaires. Aujourd’hui, ils sont onze. Il s’agit d’éleveurs de la région qui ont apporté 100 000 F chacun, en leur nom propre ou au nom du groupement dont ils font partie. La gérante et l’animatrice sont également actionnaires.

Aujourd’hui, la laiterie est alimentée par 5 groupements de femmes. Le groupement le plus proche est à 5 km, le plus éloigné à 25 km. La laiterie paye le litre de lait à 275 F.
250 F sont pour le producteur et 25 F pour ceux qui assurent la collecte du lait en vélo.

Chaque jour, 3 femmes assurent la transformation du lait. En fait, il y a 3 groupes de 3 femmes qui se relaient chaque semaine pour ce travail. 25 F par litre de lait transformé reviennent au groupe de travail du jour. En plus de ces femmes, il y a deux salariés : la gestionnaire et l’animatrice. Cette dernière fait des tournées dans les villages auprès des groupements. Elle enseigne l’hygiène de la traite du lait, l’alimentation du bétail…

Les 5 groupements possèdent un fonds de roulement pour un complément alimentaire des animaux. Ce fonds s’élève à deux millions de Francs environ, et permet aux groupements d’acheter du tourteau de graines de coton… et de le stocker à Bittou. A la fin du mois, la laiterie règlera chaque producteur en fonction du nombre de litres de lait fournis, mais aussi de l’alimentation pour bétail qu’il aura prélevé sur le stock de la laiterie.

La laiterie transforme 100 à 200 litres de lait par jour. Elle produit du lait pasteurisé, des yaourts et du ghee (beurre fondu). Le lait et les yaourts sont commercialisés dans des sachets imprimés au nom de la laiterie. Le 1/2 litre de lait est vendu 200 F par la laiterie ; il est revendu sur la ville de Bittou à 225 F. Les yaourts (fabriqués à partir de lait 1/2 écrémé) sont vendus en sachets d’1/4 de litre, à 150 F le sachet. Enfin le ghee est vendu à 600 F le 1/2 litre.

Depuis la crise de la Côte d’Ivoire (septembre 2002), le trafic vers le Ghana et le Togo s’est beaucoup développé, et la ville de Bittou aussi. On aurait pu penser que cela allait faciliter la commercialisation des produits de la laiterie. Il n’en a rien été. Car si cela a apporté de nouveaux clients, cela a surtout apporté une concurrence qui n’existait pas auparavant. Aujourd’hui plusieurs femmes fabriquent des yaourts à partir de lait en poudre (des sacs de 25 kg de lait en poudre que l’on peut acheter à 40 000 F). Ensuite, elles commercialisent ces yaourts dans des sachets en plastique transparent de faible qualité, sachets qu’elles nouent avec un simple fil. Ces sachets présentent moins bien que ceux de la laiterie, mais sont vendus à 150 F le 1/3 de litre.

Conclusion : De cet exemple, la mini laiterie de Bittou, nous tirons deux conclusions.
1) Il est possible de créer de telles mini laiteries dans de nombreuses petites villes du Burkina.
2) Cependant, nous avons vu comment cette mini laiterie est fragilisée par la concurrence du lait importé subventionné. La filière lait doit être protégée de la concurrence déloyale. Il suffirait pour cela d’introduire une taxe significative sur l’importation du lait en poudre.

Rappel : le lait en poudre vient principalement de l’Europe. Il « profite » de nombreuses subventions pour arriver au Burkina à un prix très bas. Là, il subit une taxe insignifiante (définie par le Tarif Extérieur Commun de l’UEMOA - Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine) de 5 % seulement. Si bien que le litre de lait reconstitué à partir de lait importé coûte environ 200 F CFA, contre 275 - 300 F CFA pour le lait local.

Koudougou, le 17 février 2005
Maurice Oudet

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