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L'accès à la terre de plus en plus difficile au Burkina Faso

Il y a quelques jours, une trentaine de paysans de la région de Nouna m'ont invité à une de leur rencontre. Au cours des échanges, nous avons pris connaissance d'un conflit foncier qui a éclaté dans une famille de la région.

Il s'agit d'une famille nombreuse composée de trois filles et six garçons. Les filles avaient quitté le village pour se marier, ainsi que deux garçons à la recherche de travail en ville. Il restait donc quatre garçons sur la ferme. A la mort du chef de famille, l'ainé des garçons s'est rendu compte qu'il n'y avait pas assez de terre pour faire vivre les familles des quatre frères, et surtout qu'une partie des terres de leur père était fatiguée. Il décida donc que les terres seraient pour lui et pour ses enfants ! Et il invita ses frères à quitter le village pour aller à la recherche de travail en ville, ou d'aller à la recherche d'un village qui voudrait bien les accueillir et leur offrir des terres.

Les paysans qui participaient à cette rencontre étaient unanimes pour dire que ce genre de conflit était de plus en plus fréquent. Aussi, nous avons décidé de nous attarder sur cette question pour mieux comprendre ce qui se passe.

Nous avons commencé par éclairer ce conflit avec les résultats du dernier recensement du Burkina qui ont été rendus publics le 14 novembre 2008. Ce jour là, nous avons appris qu'en décembre 2006 la population du Burkina s'élevait à 14 017 262 habitants, avec un taux d'accroissement annuel de 3,1 %.

Ainsi, de 5 640 000 d'habitants en 1975, la population est passée à 8 millions en 1985, puis à 10 300 000  en 1996 et à 14 millions en 2006. En supposant que le taux d'accroissement annuel ne varie pas, nous serons donc 15 000 000 d'habitants dans deux mois, en mars 2009. Pas étonnant que les conflits fonciers se multiplient. En 1975, on peut dire que l'espace ne manquait pas. Il y avait de la place pour tout le monde ! Tous ceux qui voulaient de la terre pour cultiver en trouvaient facilement et gratuitement, le plus souvent dans son propre village; parfois en se déplaçant à l'intérieur du pays. Aujourd'hui, ce n'est pas toujours le cas. Bien plus, les conflits fonciers sont de plus en plus fréquents. Et pas seulement en ville !

Et on peut dire que ces conflits risquent fort d'augmenter encore. En effet : faisons la même hypothèse que précédemment (un taux d'accroissement annuel constant de 3,1 %) et regardons l'avenir.

Nous serons : 16 millions en 2011

17 millions en 2013

20 millions en 2019

25 millions en 2026

30 millions en 2032 !

Des résultats de ce recensement, il faut aussi retenir que le taux d'accroissement annuel de la population est passé de 2,4 % entre 1985 et 1996, à 3,1 % entre 1996 et 2006. Ceci mérite réflexion. Alors que ce taux baissait régulièrement au cours des recensements précédents (il était de 2,7  entre 1975 et 1985), voici qu'il fait un bond important. L'explication la plus probable vient de la Côte d'Ivoire.

Celle-ci n'est plus la terre d'accueil qu'elle était avant le grave conflit foncier qui a éclaté dans l'Ouest du pays entre les autochtones (les Guérés) et les populations venus d'ailleurs (les Baoulés – de Côte d'Ivoire – et les Burkinabè). A la suite de ce conflit, des dizaines de milliers de burkinabè sont rentrés au pays.

Elle n'est plus la terre d'accueil qu'elle était avant le 19 septembre 2002, jour où la crise politico-militaire a éclaté et où le concept d'ivoirité a été mis en avant. Depuis ce temps, beaucoup de burkinabè sont rentrés chez eux. Mais surtout, beaucoup hésitent à émigrer vers la Côte d'Ivoire.

Je ne suis pas sûr que l'on ait tiré toutes les conséquences de tels changements. Dans les années 90, on trouvait des villages où tous les hommes valides de 15 à 45 ans étaient absents. Le plus souvent ils se trouvaient en Côte d'Ivoire. Dans d'autres villages, il restait un garçon et un seul auprès des parents âgés. Pour lui, la question de la terre ne se posait pas. Il héritait des terres que cultivait son père. Aujourd'hui la situation est bien différente.

Le dernier recensement nous indique également que le nombre moyen d'enfants nés vivants par femme est de 6,7 en milieu rural (contre 4,6 en milieu urbain). Donc, le plus souvent une femme rurale met au monde de deux à cinq garçons. Comme la migration vers la Côte d'Ivoire est devenue difficile, que les pays du Nord convoitent les terres du Sud, que les hommes politiques bien placés s'approprient de plus en plus de terres, il est clair que le problème de l'accès à la terre va se poser avec acuité au sein des familles rurales. Nous y reviendront prochainement.

Koudougou, le 24 janvier 2009
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

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