Bassiaka Dao est le président de la Confédération paysanne du Burkina Faso (CPF). Il rentre d’une mission du Réseau des organisations et producteurs ouest-africain (ROPPA) à Abidjan, où un mémorandum a été signé. Le Roppa se déclare solidaire avec les agriculteurs ivoiriens, qui avaient beaucoup à perdre en cas de non-paraphe. Voici les explications de Bassiaka Dao.

"Le Pays" : Vous revenez d’Abidjan où vous avez eu une rencontre avec les producteurs ivoiriens. De quoi a-t-il été question ?
Bassiaka Dao : Le 7 décembre dernier, la Côte d’Ivoire a paraphé un accord intérimaire sur les APE (accords de partenariat économique). Les enjeux sont tels qu’il était nécessaire d’aller à la rencontre des acteurs du monde rural pour informer, sensibiliser, et clarifier notre positionnement à nos militants. Comprendre pourquoi la Côte d’Ivoire a paraphé l’accord interimiaire. Du 9 au 11 janvier, nous avons essentiellement parlé des APE.

Pourquoi soutenez-vous le fait que la Côte d’Ivoire a signé ?
La CEDEAO qui négocie les accords est composée de pays moins avancés (PMA) et de quelques pays qui ne le sont pas. Il s’agit, entre autres, de la Côte d’Ivoire et du Ghana. Ces non-PMA verraient leurs exportations, qui sont essentiellement issues de l’agriculture, taxées en Europe. Toute chose qui occasionnerait des pertes en matière de paiement de droits et taxes avec des répercussions sur le revenu agricole. En tant qu’agriculteurs et fervents défenseurs de l’intégration, nous ne voulons pas que nos collègues ivoiriens subissent les conséquences de l’inertie des politiques. Le paraphe, nous a-t-on expliqué, permet de sauver les meubles, d’éviter des pertes financières. On gagne donc du temps, et personne ne perd pour l’instant, surtout pas les producteurs ivoiriens.

Cette situation crée un cafouillage quand même ?
C’est la faute à la CEDEAO. Les négociations sont ouvertes depuis 2003. On a l’impression qu’on s’est mal préparé. Maintenant, il s’agit de trouver un accord qui ne lèse pas les intérêts des producteurs.

Les accords tels qu’ils se présentent ne nous sont pas favorables. D’où notre opposition aux APE. Cela a l’avantage de réveiller tout le monde. Aujourd’hui, je crois que nous sommes dans la bonne direction, puisque le 17 décembre dernier, le comité de suivi ministériel des négociations a décidé de faire encadrer par la CEDEAO, le paraphe des accords intermédiaires afin qu’ils respectent l’esprit du traité de la communauté : un espace intégré et solidaire, et que l’on aboutisse à terme à un accord global qui prenne en compte le commerce et surtout le développement.

Donc vous êtes en phase aujourd’hui avec l’approche de la CEDEAO ?
Au ROPPA, nous avons toujours été pour un accord qui prend en compte les deux dimensions : commerce et développement. Ce n’est pas ce que l’Europe voulait au départ. Nos chefs d’Etat négocient, et nous souhaitons que l’on tienne compte de l’aspect développement, sinon ce n’est pas la peine de signer. Nous avons 18 mois pour nous entendre et aller à un accord avec l’Europe. A Abidjan, nous avons réaffirmé notre solidarité avec les producteurs ivoiriens. Aux chefs d’Etat, nous disons que nous sommes derrière eux, nous les soutenons dans le sens où nos intérêts sont défendus. Nous leur disons que le ROPPA est mobilisé avec eux pour un marché régional qui crée les conditions d’un développement intégré de notre zone. Ce marché à créer est vital pour nos agricultures avant d’ouvrir notre espace au libre échange. Chacun de nous connaît aujourd’hui les enjeux pour faire ce qui est nécessaire pour accélérer l’intégration. On n’a pas besoin de l’Union européenne pour mettre fin aux tracasseries routières. Chaque acteur, à quelque niveau qu’il soit, peut jouer un rôle dans l’accélération de l’intégration.

On considère les paysans comme des anti-APE…
Non, nous ne sommes pas des anti-APE, nous défendons les intérêts des paysans africains. Et notre objectif est de faire entendre le son de cloche du monde rural et d’amener les politiques à prendre en compte ses préoccupations. C’est pour cette raison que nous avons mené des campagnes de plaidoyer, organisé des marches pour rappeler que les décisions vont nous engager tous, et qu’il ne faut pas se précipiter.

Peut-on dire que les marches sont finies ?
Non, les marches ne sont pas finies puisque les accords ne sont pas encore signés. Il peut se passer des choses d’ici là. Il y a un proverbe qui dit, "à chaque réaction du troupeau, il y a un autre comportement du berger ». Ce que nous demandons aux chefs d’Etat, c’est de négocier un accord global qui tient compte du commerce et du développement. Mais, il ne faut pas que les chefs d’Etat oublient qu’ils ont pris des engagements dans le cadre de l’intégration régionale. Il s’agit de l’union douanière avec le relèvement du TEC en créant une cinquième bande en vue de protéger nos produits. C’est notre principale préoccupation avant la signature de l’APE.

Interview publié dans le quotidien burkinabè "Le pays" du 21 janvier 2008

Propos recueillis par Abdoulaye TAO

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