Genève, dans la nuit du 31 juillet 2004 :

Victoire des commerçants

Défaite des paysans

Ainsi, les commerçants (représentés par leurs Ministres du Commerce) se sont mis d'accord, dans la nuit du 31 juillet 2004, sur un document qui relance les négociations qui avaient échouées à Cancun en septembre 2004. Une bonne affaire pour les commerçants. Par contre les agriculteurs et les éleveurs du monde entier doivent analyser ce texte de près.

Les commentaires qui suivent ont été écrits à partir du document qui était entre les mains des négociateurs dans la journée du 31 juillet. Il ne tient pas compte des derniers amendements. Mais il est clair que les grandes tendances n'ont pas variées en ce jour.

Oui, il est urgent pour les paysans du monde entier de tirer les leçons des dernières négociations sur l’agriculture qui viennent d’avoir lieu au siège de l’O.M.C. à Genève. En effet, elles ont fourni la preuve que cette organisation est incapable de se réformer par elle-même et tout aussi incapable de tenir compte des droits des paysans, et tout spécialement des paysans des pays pauvres. Voici trois exemples qui illustrent cette affirmation.

1) La définition du « dumping » reste inchangée.

Nous avons, à plusieurs reprises, dénoncé l’injustice massive intégrée aux accords de l’O.M.C. : d’après les règles de l’O.M.C., il n’y a pas de « dumping » si les produits agricoles sont exportés au même prix que sur le marché intérieur, même si ce prix est bien inférieur au coût complet de production. Cela permet aux pays développés d’exporter massivement leurs surplus agricoles et de tuer les agricultures des pays pauvres à qui on refuse le droit de se protéger.

Or cette définition du dumping est maintenue. Les Européens, entre autres, pourront continuer à exporter à des prix cassés, leurs producteurs recevant pour cela des subventions dites « découplées ». Ces dernièes sont autorisées par cet axiome qui fait également partie des règles de l’O.M.C. qui dit que « ces subventions n’ont pas d’effets » de distorsions sur le commerce. Elles permettent seulement (ici, il ne s’agit plus des commentaires officiels de l’O.M.C., mais de ce que nous voyons chaque jour dans les pays du Sud) aux pays du Nord de nourrir les populations des villes du Sud, et par là de condamner à la misère les paysans de ces mêmes pays en leur retirant leur marché naturel : les consommateurs urbains de leur propre pays.

2) La revendication principale des paysans du Sud a été traitée par le mépris :

Les paysans du Sud font l’expérience quotidienne d’un combat inégal ; pire, d’une guerre économique à armes inégales. Leurs productions subissent la concurrence d’importations massives à des prix en dessous des coûts de production. Les sacs de riz « Super Warrior », c’est à dire « Super Guerrier » (vendu à prix cassés sur le marché burkinabè) symbolisent à merveille cette guerre injuste. Face à cette menace, les paysans réclament le droit de vivre honnêtement de leur travail, et donc le droit de protéger leur agriculture par des taxes à l’importation. En réponse à cette demande voici ce que propose les accords de ces derniers jours :

La baisse des taxes à l’importation s’impose aux pays en développement comme aux pays développés. Seulement , il sera convenu d’un coefficient de baisse plus faible pour les pays en développement.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Prenons l’exemple du Japon et des pays de l’UEMOA (Union Économique et Monétaire de l'Afrique de l'Ouest) ? L’accord n’étant pas encore chiffré, nous pouvons imaginer une baisse de 50 % pour le Japon et de 20 % pour les pays de l’UEMOA. En clair cela veut dire que le Japon pourra protéger ses producteurs de riz au niveau de 245 % (compte tenu de la protection actuelle de 490 %) et que les pays de l’UEMOA devront réduire leur taxe de 10 % (le niveau actuel) à 8 %. Voilà tout ce qu’a trouvé l’O.M.C. pour ce cycle de négociations, pourtant qualifier de cycle de développement !

Et le coton ?

Alors que, suite à la plainte du Brésil, les États-Unis sont sur le point d’être condamnés pour leurs subventions abusives à leurs producteurs de coton, il est proposé la mise en place d’un "sous-comité du coton" (une pratique habituelle des parlementaires occidentaux consistant à créer une commission spéciale pour étudier les problèmes que l'on n'a pas le courage politique de traiter). Ce « sous-comité du coton se réunira périodiquement et fera rapport à la Session extraordinaire du Comité de l'agriculture pour examiner les progrès réalisés. ». Autant dire que ce comité n’a aucun pouvoir coercitif, et donc que ce texte ne manifeste aucun engagement concret des USA. Une fois encore, il y a deux poids, deux mesures.

Conclusion :

Pourquoi attendre encore plus longtemps ? Il est temps pour les paysans du Sud d’interpeller leurs ministres de tutelles, pour demander une réunion mondiale, dans le cadre de l’ONU (par exemple dans le cadre de la FAO ou de la CNUCED), des ministres de l’agriculture pour mettre en place un nouvel accord multilatéral. Cet accord devra être radicalement différent de l’accord sur l’agriculture de l’O.M.C. Il devra protéger le droit des États à la souveraineté alimentaire, et donc reposer sur le droit à une protection efficace à l'importation des produits agricoles et alimentaires, et l'interdiction de toutes les formes de dumping. Comme il manifestera le droit, il aura prédominance sur les accords commerciaux de l’O.M.C.

Koudougou, le 1° août  2004
Maurice Oudet

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