Le poids des mots :

Sécurité alimentaire ou souveraineté alimentaire, 

il est temps de choisir ?

(réédition)

 Le Forum Social de l'Afrique de l'Ouest me laisse peu de temps pour rédiger cette chronique hebdomadaire. Je vous propose donc la réédition de abc Burkina n° 70, la Souveraineté alimentaire devant être un des thèmes de ce forum.

Ils sont nombreux aujourd'hui ceux qui ne perçoivent pas bien la différence entre "sécurité alimentaire" et "souveraineté alimentaire". Pourtant derrière ces mots se cachent un enjeu considérable. Opter pour la seule sécurité alimentaire (donc sans souveraineté alimentaire), c'est condamner à la misère un milliard de petits paysans à travers le monde. Expliquons-nous ?

Deux questions ?

Aujourd'hui, il ne manque pas de nourriture sur notre planète. Et les paysans sont capables de produire beaucoup plus si on leur offre un prix rémunérateur pour leur production agricole. Les questions qui se posent actuellement sont celles-ci :

  • Comment assurer une juste répartition de la nourriture disponible, pour que tous y aient accès ?
  • Et qui va produire la nourriture dont la population mondiale a besoin ?

La réponse des Etats-Unis et de l'Europe à ces questions :

Le discours officiel. Il s'adresse spécialement aux pays du Sud. Le plus important est que la nourriture circule facilement, sans entrave. Comme il a assez de nourriture dans le monde, quand une région manquera de nourriture (de façon permanente ou occasionnelle) le marché jouera son rôle, et il y aura ainsi, toujours et partout de la nourriture disponible. Donc pour assurer la sécurité alimentaire sur toute la planète, il suffit de libéraliser le commerce, y compris (voire surtout) pour les produits agricoles et alimentaires.

Le non-dit.
1. Ce que ne disent pas les Etats-Unis et l'Europe, c'est tout d'abord que la souveraineté alimentaire ne les intéresse pas puisqu'ils la possèdent déjà. Ils soutiennent leurs agriculteurs avec d'importantes subventions (liées à la production ou non). Ils continuent à taxer les produits à l'importation quand cela les arrange.
2. Ils ne disent pas non plus que la recherche, à travers le monde, de la seule sécurité alimentaire les arrange bien. Ils n'ont qu'un désir : vendre partout dans le monde leurs excédents agricoles et les différents produits alimentaires qui sortent de leurs usines. 

Cette politique est déjà à l'œuvre. Chacun d'entre nous peut essayer d'en mesurer le résultat. Il est même urgent de le faire ? Pour en mesurer tous ses effets, il faut regarder ce qui se passe en ville, mais aussi dans les campagnes.

Pour vous qui vivez en ville, dans un pays du Sud, il est clair que votre sécurité alimentaire est assurée. Mieux, vous pouvez vous nourrir en ne consommant que des produits importés. Ils sont même souvent moins chers que les produits locaux. Allez dans une boutique d'alimentation générale et comparez : Combien de produits importés ? Combien de produits du pays où vous vivez ? Autre piste. Dans vos dépenses alimentaires du mois passé : combien avez-vous dépensé en produits locaux, et combien en produits importés ?

Maintenant, rendons-nous dans les villages. Que constatons-nous ? Cette année, la sécurité alimentaire est assurée. Il y a même abondance de nourriture au moins dans le Sahel. Au Burkina Faso, nous avons un excédent d'un million de tonnes de céréales. Mais les paysans n'ont pas d'argent pour se soigner ou pour mettre leurs enfants à l'école. Leurs produits ne se vendent pas. La situation des producteurs de riz du Sourou est éclairante. Ils ont des milliers de tonnes de riz à vendre. Mais depuis deux ans, ils ne trouvent pas d'acheteurs à un prix rémunérateur. Pourtant, ils ne sont pas trop exigeants : actuellement, ils ne demandent que 100 F CFA par kilo de riz paddy. Ils disent que si on leur garantissait 120 F par kilo de riz paddy, ils doubleraient leur production. Mais ils subissent la conséquence des importations massives de brisure de riz. Des brisures qui ont souvent 7 à 10 ans d'âge et sont bradés sur le marché mondial.
A cela s'ajoute "l'aide alimentaire" des Etats-Unis…

L'alternative paysanne : la souveraineté alimentaire

Le concept de souveraineté alimentaire a été développé par Via Campesina et porté au débat public à l’occasion du Sommet Mondial de l’Alimentation en 1996 et présente une alternative aux politiques néo-libérales. Il dépasse la seule sécurité alimentaire. Il répond aussi à la question : qui va produire la nourriture dont la population mondiale a besoin ? 

La souveraineté alimentaire désigne le DROIT des populations, de leurs Etats ou Unions à définir leur politique agricole et alimentaire, sans dumping vis à vis des pays tiers.

La souveraineté alimentaire inclut :

La priorité donnée à la production agricole locale pour nourrir la population, l’accès des paysan(ne)s et des sans-terre à la terre, à l’eau, aux semences, au crédit. D’où la nécessité de réformes agraires, de la lutte contre les OGM (organismes génétiquement modifiés) pour le libre accès aux semences, et de garder l’eau comme un bien public à répartir durablement.

Le droit des Etats à se protéger des importations agricoles et alimentaires à trop bas prix.

Des prix agricoles liés aux coûts de production : c’est possible à condition que les Etats ou Unions aient le droit de taxer les importations à trop bas prix, s’engagent pour une production paysanne durable et maîtrisent la production sur le marché intérieur pour éviter des excédents structurels.

La participation des populations aux choix de politique agricole.

La reconnaissance des droits des paysannes, qui jouent un rôle majeur dans la production agricole et l’alimentation.

Un exemple pour conclure :

Le jour où la souveraineté alimentaire sera appliquée au Burkina Faso, les importations de riz seront contrôlées par des taxes à l'importation ou par des quotas. Un prix plancher sera assuré pour le riz paddy, correspondant aux coûts de production. Il sera donc de l'ordre de 120 à 140  F le kilo. Les producteurs de riz du Sourou retrouveront l'espoir. En un ou deux ans, ils doubleront leur production. Ils soigneront leurs rizières ; ils feront du compost pour entretenir la fertilité de leurs parcelles…Ils pourront se soigner convenablement, et mettre leurs enfants à l'école. Les Ouagalais oublieront les brisures de riz venant d'Asie et apprécieront à nouveau le bon goût du riz burkinabè. Le pays tout entier économisera des devises, car bientôt la production locale suffira à la consommation.

P-S : Le sommet du CILSS (Comité permanent Inter Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel) à Nouakchott s'est terminé le 26 janvier. Les 9 pays membres du CILSS sont : le Burkina Faso, le Cap Vert, la Guinée Bissau, la Gambie, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, et le Tchad. 7 chefs d'Etat étaient présent. On y a beaucoup parlé de sécurité alimentaire, mais pas encore de souveraineté alimentaire. C'est dire qu'il reste du chemin à parcourir. 

Maurice Oudet
Ouagadougou, le 28 janvier 2004

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