Sécurité alimentaire :

L'ouverture des marchés, ça ne marche pas !

 

A l’initiative de la FAO , 96 représentants d’Etat se sont retrouvés à Porto Alegre, au Brésil, pour participer à la « Conférence internationale sur la réforme agraire et le développement rural ».

Cette conférence a été marquée par la présence de plus de 70 organisations paysannes et associations de la société civile. En participant aux sessions plénières et techniques, elles ont pu faire part de leur vision devant les représentants gouvernementaux. Durant ces débats, la vision européenne valorisant l’accès à la sécurité alimentaire par l’ouverture des marchés (en particulier dans le cadre des accords de partenariat économique entre l’Union européenne et les pays de la zone ACP, les APE) semble avoir été fortement critiquée par les organisations paysannes africaines qui réclament le droit à la souveraineté alimentaire (capacité d’un pays à choisir sa politique d’approvisionnement alimentaire en privilégiant notamment les productions locales, et donc le droit de se protéger des importations à bas prix) - cf la lettre hebdomadaire n° 112 de l'Afdi (Agriculteurs français et développement international) - .

Observateur attentif du monde rural au Burkina Faso depuis plus de trente ans, je partage tout à fait le point de vue des organisations paysannes africaines. Et je ne comprends pas l'aveuglement des responsables politiques de l'Union européenne. Rendez-vous à la représentation de l'Union européenne à Ouagadougou, vous y trouverez un spécialiste de la sécurité alimentaire. De même à l'ambassade de France à Ouagadougou. Et probablement à l'ambassade de France à Bamako et à Niamey...

Pourtant, la sécurité alimentaire ne progresse pas. Pourquoi ? Parce que l'on refuse d'accepter l'évidence : L'insécurité alimentaire est liée à la pauvreté. Ce n'est pas parce que les produits alimentaires circulent librement qu'un pauvre pourra se les procurer. Même bon marché, il devra les payer. Par contre, même dans un milieu hostile, un riche ne souffrira pas de la faim.

Mais l'essentiel est ailleurs. Quand vous laissez pénétrer dans votre pays des produits alimentaires à très bas prix (comme du riz vieux de 5 à 10 ans, ou des produits subventionnés comme le blé et le lait européens) vous cassez les prix sur le marché intérieur. Et les paysans et les éleveurs de votre propre pays n'arrivent plus à écouler leurs produits et ils s'enfoncent dans la misère. Ils sont fragilisés. Qu'une année de sécheresse ou une maladie avec ses charges financières surviennent, et cette population se retrouve sans ressource. A ce moment, elle n'est plus capable d'acheter ces produits alimentaires qui circulent librement !

C'est pour cela que la grande majorité des pauvres du monde se trouve dans le monde rural. Il faut casser ce cercle vicieux, pour s'orienter vers un cercle vertueux ! Il faut s'attaquer aux racines de la pauvreté.

 Et pour cela, il faut offrir un prix rémunérateur aux produits des éleveurs et des agriculteurs. Et dans un monde où les prix pratiqués sur le marché mondial n'ont rien à voir avec les coûts de productions, cela passe par une protection du marché intérieur. Au delà des programmes de développement rural, il faut une véritable politique agricole axée sur la souveraineté alimentaire.

Mais surtout, ce que je voudrais ajouter, c'est que si on fait confiance aux paysans; si, au lieu de les écraser et de les exploiter, on crée un environnement économique sain, ils sont tout à fait capables d'assurer cette sécurité alimentaire et au-delà la base du décollage économique des pays de l'Afrique de l'Ouest. Pour l'affirmer, je m'appuie sur l'analyse d'un ensemble de faits que j'ai rassemblés dans un document (qui dépasse le cadre d'un simple courrier hebdomadaire) sous le titre :

Quelle stratégie adopter pour lutter contre la pauvreté ?

Comment peut-on imaginer qu'on arrivera à développer un pays composé à 80 % d'agriculteurs et d'éleveurs quand tous les arbitrages politiques sont pris en faveur des populations urbaines ?

Koudougou, le 23 mars 2006
Maurice Oudet

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