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Quand nous apprenons que M. Tony Blair veut profiter de la double opportunité de présider en 2005 à la fois l'Union Européenne et le sommet du G8 (regroupement des pays les plus riches de la planète) "pour donner une grande impulsion au développement de l'Afrique", nous ne pouvons que nous réjouir.

Nous ne sommes pas naïfs. Nous savons bien qu’il ne faut pas juger un homme politique sur ses paroles, ni sur ses promesses, mais bien sur ses actes. Mais puisque M. Blair nous dit qu’il veut lancer un grand mouvement de générosité envers l’Afrique, à l’image de celui qui s’est manifesté en faveur des victimes des Tsunamis qui ont frappé l’Asie en décembre dernier, nous avons décidé de lui accorder le bénéfice du doute, et donc de lui faire confiance. Après la tenue du G8, en juillet 2005, puis en janvier 2006, il sera temps de faire une évaluation pour voir jusqu’où allait la détermination de M. Blair.

1) Nous sommes convaincus, nous aussi, que l’Afrique n’est pas condamnée à rester dans la pauvreté et la misère. Il suffirait de quelques bonnes mesures au niveau international, et de quelques autres au niveau régional ou national.

2) L’Europe n’a pas intérêt à ce que l’Afrique s’enfonce dans le sous-développement et la misère. L’Europe industrielle et agricole s’est développée derrière des barrières de protection. La priorité n’est pas l’intégration de l’Afrique au marché mondial, mais bien l’accélération de son développement à son rythme et selon ses voies : notamment sans faire l’impasse sur l’agriculture !

3) Aucun développement ne sera possible tant qu’on ne prendra pas en compte la majorité de la population qui est composée d’agriculteurs et d’éleveurs. De plus, la majorité des pauvres de ce continent se trouvent dans les zones rurales. Au Burkina Faso, par exemple, 92 % des pauvres appartiennent au monde rural. C’est pour cela que les pays africains ont demandé que l’agriculture soit mise à l’ordre du jour des négociations qui ont lieu entre l’Union Européenne et les pays ACP (Afrique, Pacifique et Caraïbes) dans le cadre des accords de Cotonou. L’Europe, qui parle de partenariat, a refusé. Il faut revenir sur cette décision. Il faut que tous les « partenaires » s’engagent à ne pas signer d’APE (Accord de Partenariat Economique que l’Europe veut signer avec les pays ACP) sans que les différentes régions des pays ACP n’aient défini des Politiques Agricoles Communes (PAC) dignes de ce nom.

4) Bien plus, comment peut-on imaginer qu’on va aider l’Afrique en instaurant le libre-échange entre les produits agricoles de l’Europe (qui profitent d’une haute technicité et de fortes subventions) et ceux de l’Afrique dont les producteurs sont peu équipés en matériel agricole et ne sont pas subventionnés ? Les PAC (Politiques Agricoles Communes) doivent donc être consolidées par un taux de protection suffisant qui mette les agriculteurs à l’abri des importations des produits à trop bas prix (sous-produits ou autres…) et des variations non contrôlées du marché mondial (baisse du dollar…). Le plus efficace serait de retirer des TEC (Tarif Extérieur Commun) un certains nombres de produits sensibles (riz, lait, blé, confiture…) pour lesquels seraient définis des taxes à l’importation dont le taux varierait en fonction du marché mondial, ce qui permettrait de garantir un revenu stable aux producteurs agricoles comme aux éleveurs.

5) Il faudrait aussi que les pays qui veulent nous aider avec de l’aide alimentaire n’en profite pas pour aider leurs propres agriculteurs. S’ils veulent vraiment nous aider, qu’ils ne se débarrassent pas de leurs vieux stocks, mais qu’ils donnent une aide financière. Avec cette aide, nos pays pourront acheter des vivres dans les zones excédentaires (il n’en manque pas !) et les acheminer dans les zones où la sécurité alimentaire est temporairement menacée. Ainsi, les populations en difficulté seront aidées, et les producteurs qui ont fait une bonne récolte pourront vendre leurs produits. Ce serait un grand progrès, car aujourd’hui les paysans africains sont les grands perdants du système actuel : quand il ne pleut pas assez, ils ne font pas de bonnes récoltes ; et quand la pluie leur permet de faire une bonne récolte, ils n’arrivent pas à vendre leurs produits !

6) L’Europe se prépare à défendre sa nouvelle PAC (Politique Agricole Commune) à la prochaine conférence ministérielle de l’OMC qui se tiendra en décembre 2005 à Hongkong. Nous aurons alors, nous aussi, notre PAC à défendre ! (Politique Agricole de la CEDEAO). Nous comptons sur M. Blair pour que l’Europe nous aide à défendre notre PAC, y compris dans sa dimension concernant le coton.

7) Enfin, malgré quelques remises de dette, la plupart des pays africains croulent encore sous le poids de la dette. Nous avons vu comment M. Blair a été généreux envers l’Irak, et les pays asiatiques. Faudra-t-il de nouvelles catastrophes, en Afrique cette fois, pour que les pays africains voient leurs dettes remises ? Pourquoi ne pas faire profiter l’agriculture des nouvelles remises de dettes que vous réussirez certainement à susciter ? L’agriculture étant le moteur du développement, il serait judicieux que l’initiative PPTE (en faveur des Pays Pauvres Très Endettés) ne soit pas réservée aux seuls secteurs sociaux comme l’éducation et la santé.

Voilà quelques propositions qui devraient permettre de mettre résolument l’Afrique sur le chemin du développement durable et d’offrir à l’Europe un véritable partenaire, dans l’intérêt des deux parties. Nous sommes prêts à faire le maximum pour que les gouvernements africains s’engagent sur cette voie. Nous souhaitons vivement que M. Tony Blair les prennent en considération dans sa volonté de donner une impulsion décisive au développement de l’Afrique.

M. François Traoré
Président de la Confédération Paysanne du Faso

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