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Messieurs les Ministres, comment pouvez-vous affirmer que la PAC n'a pas d'effets pervers sur les agricultures des pays du Sud ? !

Sept ministres de l'Agriculture européens (*) ont signé récemment un document intitulé :

Quelques idées simples pour l'agriculture européenne

Dans ce document, ils défendent la PAC, la Politique Agricole Commune (Européenne). C'est leur droit. Cependant, dans ce document, ils écrivent :

Certains avancent que la PAC serait responsable de la faim dans le tiers-monde. Il faut savoir raison garder. Les agricultures de nombre de ces pays, en particulier en Afrique, ont avant tout vocation à assurer l'autosuffisance alimentaire. Celle-ci est gravement mise à mal par la destruction des agricultures traditionnelles, qui provoquent une hausse des importations et accroissent ainsi l'endettement de ces Etats. (Fin de citation)

Nous ne pouvons pas laisser passer de telles affirmations sans réagir. Car elles laissent croire que la PAC n'a pas d'effets négatifs sur les agricultures du Sud ! Pourtant, ses effets pervers sont nombreux :

1) Est-ce aux ministres européens de définir la vocation de l'agriculture africaine ?
Pourquoi l'agriculture des pays africains devrait avoir pour seul objectif  "l'autosuffisance alimentaire".

Cette affirmation est d'autant plus étonnante que du temps de la colonisation, les pays européens ne se sont pas intéressés aux céréales traditionnelles, mais à développer des cultures d'exportations vers la métropole.

D'autant plus étonnant que c'est la France, à travers la CFDT (Compagnie Française de Développement des Textiles, aujourd'hui Dagris), qui a développé la culture du coton en Afrique de l'Ouest et du Centre. Avec une certaine réussite, du reste ! Cette région est devenue le deuxième exportateur mondial, derrière les Etats-Unis. Mais aujourd'hui, cette belle réussite est menacée. Depuis octobre 2001, les cours du coton se sont effondrés. Ils restent désespérément bas, compromettant toute la filière coton de l'Afrique de l'Ouest et du Centre. C'est pourquoi dès novembre 2001, les producteurs de coton africains ont lancé un appel, où l'on peut lire :

"Les subventions dont bénéficient les agriculteurs de l’Union Européenne (U.E.) et des Etats-Unis (U.S.A.) leur permettent de mieux résister à ces chutes de prix. Mais elles  ont des effets pervers sur les économies des pays pauvres, car elles stimulent artificiellement la production et entraîne une surproduction, et donc la chute des cours sur le marché mondial. En subventionnant leurs producteurs de coton, les U.S.A. et l’U.E. menacent gravement le coton africain, et donc l’avenir de millions de producteurs, et les économies de nombreux pays comme celles du Bénin, du Burkina Faso et du Mali.

Aussi, nous demandons solennellement aux U.S.A. et à l’U.E. de supprimer leurs subventions aux producteurs de coton. " (Fin de citation)

Notons au passage, pour ceux qui penseraient que la culture du coton s'est développée au détriment des cultures vivrières, que les régions cotonnières sont également grandes productrices de maïs.

2) Mais justement, le dumping pratiqué sur les céréales et autres produits agro-alimentaires de base découragent les producteurs de maïs, qui n'arrivent plus à vendre leur production à un prix rémunérateur. Le blé est bradé à des prix sans liens avec les coûts de production, si bien qu'en ville (et même dans les villages le jour de marché) la population mange de plus en plus de pain et de pâtes alimentaires, délaissant chaque jour davantage la nourriture traditionnelle.

3) Connaissez-vous les "poulets-bicyclettes" ? C'est le nom qu'on donne parfois aux poulets de fermes vendus sur les marchés urbains du Burkina Faso et de l'Afrique de l'Ouest. Ce nom leur vient de ces cyclistes infatigables qui circulent de village en village pour acheter des poulets qui rejoindront la ville, vivants, mais la tête en bas suspendus au guidon de la bicyclette, ou dans une cage artisanale fixée sur le porte-bagage. Certains continueront leur voyage jusqu'à Abidjan, en camion cette fois, mais toujours dans le même type de cage. Ces poulets, après les récoltes, sont la seule ressource financière de nombreuses familles de paysans. Or je relisais ces jours-ci dans le numéro  n° 298 de décembre 2 001 d' Afrique Agriculture : "Quant aux poulets, les sous-produits occidentaux peuvent arriver au port d'Abidjan à moins de 500 Fcfa le kilo...Il s'agit essentiellement des poules de réforme européennes, américaines et brésiliennes et des sous-produits comme les découpes."

Comment faire face à une telle concurrence ?

Nous pourrions multiplier les exemples.

Nous concluerons aujourd'hui en disant : les effets pervers de la PAC sur les agricultures du sud, spécialement africaines, sont incontestables, même si la PAC n'est pas la seule à étouffer les producteurs du Sud. La politique agricole des Etats-Unis, par exemple,  ne vaut guère mieux. Aussi nous demandons à tous les pays occidentaux d'éliminer très vite toutes les formes de dumping lié à leurs subventions explicites et implicites aux exportations agroalimentaires afin de garantir le droit des peuples à produire les aliments de base, et à participer au commerce mondial de façon équitable.

Maurice Oudet
Koudougou, le 27 septembre 2002

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