Les poulets congelés importés dictent leur loi

Témoignage : Alexandre Betegne

« Je ne peux plus continuer »

Il pourrait être compté parmi les éleveurs moyens au Cameroun. L'élevage de poulet de chair c'est ce qu'il sait faire de mieux. Il le pratique depuis 1983 avec passion et intérêt. 3000 c'est le nombre de poussins qu'il lance en moyenne par bande. Jusqu'alors il s'en est toujours sorti. Alexandre Betegne, fonctionnaire de la sûreté en retraite, père de 14 enfants parmi lesquels des élèves et des étudiants, n'a jamais quémandé son pain, ni celui de sa famille. L'élevage lui rendait bien plus que ce qu'il lui donnait. Mais d'ici là ; à moins qu'il ne trouve autre chose à faire, autre activité rentable à exercer, il est possible qu'il mendie sa pitance. Dans tous les cas, il ne veut plus entendre parler de l'aviculture. Et pour cause, les pertes enregistrées ces derniers temps l'ont poussé au dépit et à l'abandon.

Installé dans un quartier périphérique de Yaoundé, M. Betegne a pris du temps pour aménager non loin de sa concession des installations pour chauffer les poussins et des hangars pour élever les poulets. Le visiteur qui foule du pied cette ferme à la fin du mois d'avril 2002 est de prime abord impressionné par l'investissement consenti, mais en accostant les bâtiments, il est très tôt atterré par l'état d'abandon dans lequel se trouvent certains. Un dernier hangar en construction a même été purement et simplement détruit avant terme. « Je vais récupérer ce matériel pour faire ma clôture, car avec les pertes enregistrées dans l'élévage, je ne peux plus continuer », déclare M. Alexandre Betegne. Tous les rêves d'extension de l'activité sont donc stoppés net.
M. Betegne ne voit qu'une seule cause à son malheur : la présence des congelés sur le marché. « Comment voulez-vous qu'une ménagère vienne acheter chez moi un poulet à 1800F alors qu'à côté, on vend 1kg de poulet congelé bien nettoyé à 900F ? J'ai même vu des gens qui vendaient en tas de 500F », insinue l'éleveur désabusé. Il pointe du doigt les pouvoirs publics qui restent insensibles à leur déchéance.

Le cauchemar, il dit l'avoir vécu tout récemment en mars 2001 : « j'ai loué à crédit un camion à 25 000F pour transporter les poulets au marché. Ma famille et moi n'avons pas fermé l'œil de toute la nuit ; nous aménagions les cages pour le transport des poulets. Le lendemain, je me suis entendu avec le camionneur pour le payer après les ventes. Mais, fait inédit, je n'ai pas vendu un seul poulet ce jour. Je dis bien, pas un seul vendu. De ma carrière d'éleveur, je n'ai jamais connu cela. J'ai été obligé de programmer un autre jour de sortie avec le camionneur pour lui payer une fois 50 000F ». C'était la goûte d'eau qui a fait déborder le vase. M. Betegne a cessé de tergiverser. Il va arrêter cette activité qu'il mène à perte. Les deux ouvriers qu'il employait jusqu'alors en permanence ont déjà été remerciés. De la bande de 3000 poulets qu'il a lancée en février 2002, il lui en reste encore quelques centaines dans la ferme. Il attend d'en finir avec la vente pour envisager autre chose à faire. A moins que son cauchemar (poulets congelés) ne disparaisse entre temps du marché.

Ainsi va l'aviculture camerounaise à l'heure des congelés. Ainsi va notre élevage à l'heure de la mondialisation.

Marie Pauline VOUFO / la Voix Du Paysan
SAILD Cameroun

Pour éclairer ce témoignage, je rappelle les données chiffrées tirées du magazine
Afrique Agriculture n° 298 de décembre 2 001. Il y est question du port d'Abidjan de Côte-d'Ivoire, mais les tarifs sont les mêmes au port de Douala au Cameroun.

"Quant aux poulets, les sous-produits occidentaux peuvent arriver au port d'Abidjan à moins de 500 Fcfa le kilo...Il s'agit essentiellement des poules de réforme européennes, américaines et brésiliennes et des sous-produits comme les découpes."

Les "poules de réforme" sont les poules pondeuses "en fin de carrière" (la ponte !) qui ne trouve quasiment pas de marché en Europe (elles ne peuvent qu'être consommées bouillies) qui sont donc versées sur le marché mondial au prix dérisoire de 30 à 65 FCFA le kilo (0,04 euros à 0,10 euros).

Comment faire face à une telle concurrence, si on laisse entrer ces poulets sans droits de douanes ? C'est pourtant ce qui semble se passer au Cameroun. Au profit de qui ?

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