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" Les éleveurs ? On ne les craint pas ! "

J'ai reçu, il y a quelques jours, un document très intéressant. Il s'agit d'une étude sur la filière lait et les produits laitiers au Sénégal. Son titre exact :

Etat des lieux de la filière lait et produits laitiers au Sénégal

En 86 pages, l'auteur fournit une analyse détaillée tant de la transformation du lait local que de la transformation de lait en poudre. Il s'agit d'un "état des lieux", donc d'un constat. Nous avons là un travail de qualité. Je ne mets donc pas en cause la qualité de l'étude, et j'invite tous ceux qui s'intéresse à la filière lait en Afrique de l'Ouest à la lire (vous pouvez la télécharger en cliquant sur le lien ci-dessus).

Cependant, en terminant la lecture de cette étude, je me suis rappelé l'anecdote suivante :

Il y a bientôt trente ans, je posais cette question à un notable burkinabè candidat à la députation :

" Quel est le programme de votre parti en faveur des paysans ? " Il m'a répondu sans hésiter :

" Oh ! Les paysans ! On ne les craint pas ! "

Et je me suis dit : " Les éleveurs ! On ne les craint pas ! "

Je m'explique.

Dans sa conclusion, l'auteur écrit :

" Le recours massif aux importations de lait et produits laitiers, ainsi que l’augmentation de leur volume, trouvent leur origine dans le déficit de la production de lait au Sénégal. Cette production est faible, fortement autoconsommée, saisonnière et ne peut garantir l’autosuffisance du Sénégal.

Mais l’augmentation croissante des importations de produits laitiers, notamment de poudre de lait, a favorisé l’émergence et le développement d’un tissu de PME/PMI évoluant dans le reconditionnement et la transformation du lait en poudre. Ce secteur est très actif, dopé par la disponibilité de la matière première à moindre coût du fait des niveaux de taxation intéressants. "

Il faut savoir que le taux de taxation du lait en poudre est de 5 % seulement ! (A titre de comparaison, l'Europe taxe le lait en poudre écrémé à 75 % !)

Je souhaiterais que cette étude soit prolongée par un débat ! Il s'agirait de répondre à deux questions simples ?

1. Pour qui ce niveau de taxation est-il intéressant ?

  • Pour ceux qui transforment le lait en poudre importé, et qui écrivent sur leur emballage "Produit du Sénégal" ?  Comme le signale l'auteur, la volonté de tromper va parfois encore plus loin :

" Notons ici qu’aucune mention n’est faite sur les produits de l’utilisation de poudre de lait pour leur fabrication et on retrouve même la mention « yaourt naturel au lait entier – vrai bulgare »… Les images sur les sachets peuvent également tromper le consommateur (cf. sachet Niw avec femme peuhl, berger, vache locale, acacia,…). (page 53 de l'étude)

Il est clair que tous ceux-là profitent d'une taxation très faible du lait en poudre. Mais aussi des subventions européennes à ses propres producteurs et à l'exportation qui font que ce lait en poudre arrive à un très bas prix.

  • Pour le consommateur urbain, notamment le consommateur de Dakar ? Sans doute, si celui-ci ne regarde que le prix. Mais il est privé d'un produit de qualité !

  • Pour les éleveurs traditionnels, les peuls, pour les producteurs de lait local et pour ceux qui transforment ce lait ? Bien sûr que non ! On peut même dire que pour eux le lait en poudre importé est aujourd'hui l'ennemi numéro un !

2. L'importation de lait en poudre est-elle forte à cause de la faiblesse de la production locale de lait ? Ou bien, la production locale de lait est-elle faible à cause de l'importation massive de lait en poudre à prix cassé ?

La faiblesse de la production locale de lait n'est pas une fatalité. Une politique volontariste pourrait faire évoluer positivement cette réalité. Une première étape serait d'introduire une taxation du lait en poudre importé plus forte, d'au moins 20 % pour commencer, et de consacrer ces nouvelles recettes à l'appui à la production locale de lait et à sa transformation. Une partie de ces nouvelles ressources devraient permettre des campagnes publicitaires invitant à consommer des produits fabriqués avec le lait local. Une autre mesure serait d'obliger les transformateurs de lait en poudre importé de mentionner sur leurs emballages qu'il s'agit de produits fabriqués avec du lait en poudre. Ils leur serait également interdit de mettre sur leurs emballages de produits laitiers des images trompeuses (cf. plus haut).

Enfin, une autre partie de ces ressources devrait aider les éleveurs et les transformateurs de lait local à s'organiser pour mieux défendre leurs professions pour qu'on ne dise plus : "Les éleveurs ! On ne les craint pas !"

Ces derniers ne devraient d'ailleurs pas attendre cette aide de l'Etat pour s'organiser en groupe de pression. C'est à eux de s'organiser pour faire naître cette politique volontariste en faveur d'une production locale de lait et de ses dérivés.

Je souhaite que cette étude soit lue par un maximum d'éleveurs de l'Afrique de l'Ouest. Mais j'aimerais également connaître la réaction de producteurs de lait européens à la lecture de cette étude. Sont-ils prêts à s'aligner sur l'Afrique de l'Ouest qui taxe le lait en poudre à l'importation à 5 % seulement !

Pour alimenter votre réflexion, vous pouvez également lire notre étude sur la filière lait au Burkina Faso, voire différents abc Burkina, en consultant notre dossier sur la filière lait.

Koudougou, le 27 avril 2006
Maurice Oudet

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