Les ministres de la CEDEAO limitent la casse

Le 5 décembre dernier, nous avons eu très peur, quand nous avons appris que la Côte d’Ivoire avait signé un APE (Accord de Partenariat Economique) avec l’Union Européenne (UE).

Le 9 décembre, au sommet UE-Afrique de Lisbonne, le président Wade déclarait que la plupart des pays africains n'acceptaient pas les nouveaux accords de partenariat économique (APE) qui leur sont proposés par l'Union Européenne et voulaient négocier des accords différents. Il proposait de les remplacer par des Accords de Partenariat pour le Développement (APD).

Le 12 décembre, le Ghana, à la suite de la Côte d’Ivoire, annonçait qu’il avait signé un accord intérimaire avec l’Union Européenne. Où en est-on aujourd’hui ?

En reprenant le titre d’un article du quotidien burkinabè « Le Pays », aujourd’hui, on peut dire que les ministres de la CEDEAO, au cours de leur réunion du 17 décembre 2007 à Ouagadougou, ont limité la casse. Ils ont tout fait, avec une certaine réussite, semble-t-il, pour recoller les morceaux.

Nous revenons de loin !

Tout d’abord, il faut bien préciser que la Côte d’Ivoire et le Ghana n’ont pas signé d’APE. Ils ont seulement paraphé un document qui permet de parler d’accord d’étape. L’engagement est bien moindre. Les signatures ne sont pas prévues avant juin 2008. Ensuite, il faudra encore obtenir l’aval des parlements...

Aussi, le conseil des ministres de la CEDEAO a tout fait pour corriger le tir, rapprocher les points de vue, et pour que l’irrémédiable soit évité.

1. Le texte paraphé par l’UE et la Côte d’Ivoire est formulé de manière à ce que les autres pays de la sous région qui souhaiteront s’engager dans un APE par la suite, deviennent co-signataires de ce même accord sans avoir négocié son contenu pour la défense de leurs intérêts.

A Ouagadougou, les pays signataires d’un accord d’étape ont accepté d’inverser la démarche : les accords d’étape devront être modifiés pour être en accord avec le processus régional de négociation de l’APE et devront donc respecter les engagements pris par la Côte d’Ivoire et le Ghana dans le cadre de l’intégration régionale.

2. Le principe d’un accord régional englobant tous les pays de l’Afrique de l’Ouest a été réaffirmé.

3. Les ministres ont souligné la nécessité d’accélérer l’harmonisation des différentes positions sur le Tarif Extérieur Commun (TEC) qui définit les taux des taxes douanières à l’importation.

4. Les ministres ont demandé à la Commission Européenne de s’abstenir d’exercer des pressions sur le Nigeria en vue de signer un accord avec lui.

5. Les ministres ont demandé aux Négociateurs en Chef de poursuivre leurs efforts en vue de l’aboutissement diligent des négociations et de la signature d’un APE complet, juste, équilibré, mutuellement profitable et qui réponde aux ambitions de développement économique et social des pays et des populations de l’Afrique de l’Ouest.

Pendant ce temps, le président Wade continue à mettre en avant sa proposition de remplacer les APE par des APD (Accords de Partenariat pour le Développement).

La proposition du Chef de l’Etat sénégalais de substituer un APD aux APE a été publiée dans le quotidien français « Le Monde », dès le 16 novembre 2007. On peut y lire :

« C’est pourquoi je propose des APD articulés autour des principes suivants :

- dissociation du commerce et de l’aide, qui serait co-administrée ;

- constitution d’un espace mixte qui permettrait des investissements budgétaires de l’Europe en Afrique... ;

- accords entre régions du monde au lieu d’un accord mondial OMC, trop global et donc très réducteur ;

- partenariat Europe-Afrique intégrateur donc global, et non parcellisé en 5 accords régionaux, parce que l’Afrique est une continuité géographique ;

- accords sur des produits homogènes : café, cacao, arachide, coton, pêche, produits miniers, manufacturés, etc. ;

- délocalisation industrielle vers l’Afrique : l’Europe ne pouvant pas concurrencer la Chine et l’Inde, pourquoi ne délocaliserait-elle pas en Afrique ses industries qui exportent vers notre continent ?

- financement des infrastructures, car si l’Europe ne veut ou ne peut pas le faire, les Chinois le feront plus vite et moins cher ! »

Selon le président Wade, les Accords de Partenariat pour le développement permettraient (...) d’instaurer un développement équitable et mutuellement enrichissant.

"Au total, l’Europe et l’Afrique devraient se forger un destin commun en lançant les fondements d’une alliance objective sur la base de nos complémentarités", a estimé le chef de l’Etat sénégalais, suggérant que l’initiative pourrait en être prise par Paris et Dakar.

La déclaration des ministres de la CEDEAO du 17 décembre à Ouagadougou ne fait aucune allusion aux APD. Est-ce à dire que le président Wade se contenterait de la formule demandant un « APE complet, juste, équilibré, mutuellement profitable et qui réponde aux ambitions de développement économique et social des pays et des populations de l’Afrique de l’Ouest » ? L’avenir nous le dira.

En conclusion, nous pouvons dire que la CEDEAO se prépare bien à signer un APE avec l’Europe, mais qu’elle n’est pas prête à signer n’importe quoi. Elle est bien décidée à défendre ses intérêts. Reste à savoir comment les intérêts de tous (tous les pays, notamment les PED - Pays en Développement - et PMA - Pays Moins Avancés - , mais aussi les différentes catégories de la population, entre autres les consommateurs urbains et les producteurs agricoles) seront pris en compte. L’urgence est maintenant l’harmonisation du TEC, avec l’acceptation par tous de la mise en place d’une bande tarifaire à 50 % (qui s’ajouterait au 4 bandes du TEC de l’UEMOA qui sont de 0 %, 5 %, 10 % et 20 %). Cette bande tarifaire à 50 % (qui permettrait donc de taxer certains produits à l’importation à 50 %) serait un signal fort envoyé aux négociateurs européens, montrant clairement que la CEDEAO n’est pas prête à sacrifier ses intérêts.

L’autre tâche, tout aussi importante, est la définition des produits sensibles. Il s’agit de définir un ensemble de produits sensibles (ceux qui n’entreront pas dans la libéralisation des échanges prévue par les APE) suffisamment large pour protéger l’agriculture, l’industrie naissante, mais aussi pour se réserver le droit de développer une industrie agroalimentaire digne des formidables possibilités offertes par la mise en place de l’espace CEDEAO.

Koudougou, le 14 janvier 2008
Maurice Oudet

Président du SEDELAN

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