« Celui qui dort sur la natte d’autrui, dort par terre ! »

Alors qu’en Europe on se bat pour défendre son pouvoir d’achat, en Afrique, on manifeste contre la vie chère. Il n’y a pas besoin d’aller loin pour se rendre compte que la machine économique est déréglée. Il suffit d’aller voir le boutiquier du coin, ou d’échanger avec ses voisins. Les pauvres, qui mettent la quasi totalité de leurs ressources dans l’alimentation, sont obligés de sauter un repas par jour, de se passer de viande, de consommer du lait concentré sucré qui n’a de lait que le nom (les matières grasses du lait ont été remplacées par de la graisse végétale).

Une telle situation mérite une réflexion approfondie.

Face à une telle situation, que devons-nous faire ?

Le gouvernement a supprimé temporairement quelques taxes ! Au risque de perdre de précieuses ressources. Et surtout au risque d’être inefficace.

Les syndicats demandent une augmentation des salaires. C’est sûrement nécessaire. Mais cela ne se fera pas sans risquer d’alourdir les dépenses de l’Etat, et de fragiliser les entreprises.

Le nouveau Directeur Général du FMI, M. Dominique Strauss Khan, en visite officielle au Burkina Faso le 25 février, interrogé sur « la vie chère » a déclaré sur RFI « Il n’y a rien à faire au risque de compromettre durablement le développement économique du pays... peut-être quelques réajustements fiscaux... » ! Réponse inquiétante de la part de celui qui se propose de réformer le FMI (mais en faveur de qui ?). Réponse compréhensible de la part du fonctionnaire le mieux payé de la ville de New-York. Pourquoi changer le monde qui lui réussit si bien !

Première réflexion :

Etrange de voir comment les paysans sont absents des débats sur la vie chère. Ils y sont absents dans un double sens : Je ne les ai pas entendus s’exprimer à ce sujet. On ne parle pas d’eux non plus quand on cherche une solution pour l’avenir. Pourtant, il s’agit bien là d’une crise de l’alimentation et les paysans sont bien ceux qui par leur travail nourrissent le monde.

Deuxième réflexion :

La crise est grave. Il nous faut prendre un peu de recul.

Il y a un peu plus de trente ans, je me trouvais dans un village au nord-ouest du pays (à Loroni, pour être précis, et pour ceux qui connaissent cette région). Un village où les pluies sont irrégulières ; mais un village aussi où les greniers sont nombreux car, depuis la nuit des temps, on sait qu’il faut prévoir l’avenir. On sait qu’après une année pluvieuse, plusieurs années de sécheresse peuvent suivre. Pourtant, c’est dans ce village qu’un vieux, un soir, à la veillée, nous disait qu’un jour, au début de l’hivernage (quand les premières pluies arrivent), son père avait réuni tous ses enfants, tous les membres de la famille pour leur faire part de sa décision : « Cette année, nous ne cultiverons pas ; nous laisserons nos champs se reposer et nous nous reposerons avec eux ! Nos greniers sont encore pleins ! Nous avons de quoi manger pour plusieurs années ! »

Deux ans après, dans ce même village, en pleine disette, j’ai vu une famille nourrir pendant un mois tous les amis et membres de la famille élargie venus saluer pour les funérailles du chef de famille décédé. La famille préparait la nourriture avec du mil précieusement conservé ; du mil qui avait 5 ou 6 ans d’âge.

Dans un village voisin, à Lorunga, après une terrible famine qui avait touché tout le Burkina, je disais à mes amis, en montrant de nombreux et larges greniers situés au coeur du village : « L’an passé, tous ces greniers étaient vides ». Le soir, à la veillée, le chef du village m’a interpellé : « Ce n’est pas vrai ! Ces greniers n’ont jamais été tous vides. »

Non loin de là, à Kiembara, j’ai vu comment les Samos et les Mossis avaient des coutumes très proches qui interdisaient de gaspiller le mil. Dans cette région, le plus souvent les récoltes se terminent en novembre, mais il faut attendre la célébration traditionnelle des ancêtres (que l’on peut aussi appeler la fête des récoltes) pour pouvoir commercialiser le nouveau mil. Or cette fête est célébrée, le plus souvent, autour du 15 janvier. De même, il est interdit de préparer du dolo (la bière de mil) avec le nouveau mil, tant que cette fête n’est pas passée.

Si j’ai pris le temps d’illustrer ma réflexion de ces quelques faits qui datent d’une époque encore proche, mais qui tend à disparaître, ce n’est pas pour proposer de revenir en arrière. Je sais bien que cela n’est pas possible. Ce n’est même pas souhaitable.

Mais ces faits peuvent être source d’inspiration. Les chefs de famille étaient plus prévoyants que nos responsables politiques d’aujourd’hui. Ces « vieux », comme on les appelle toujours avec respect, savaient que la nourriture n’est pas une marchandise. Ils savaient que chaque famille devait compter sur elle-même pour se nourrir. Ils savaient qu’il fallait faire avec les moyens du village : ses terres et les pluies, parfois rares, parfois abondantes, qui les arrosaient.

A cette époque, une année de sécheresse ne portait pas à conséquences. Deux années de sécheresses étaient supportables par la plupart des familles. Aujourd’hui, une année de sécheresse, dans une partie du Burkina, et déjà des milliers de familles sont vouées à la faim. Aujourd’hui, les prix des produits alimentaires importés augmentent, et aussitôt la misère s’installe dans les villes.

Aujourd’hui, nos dirigeants semblent avoir oublié le bon sens de leur culture. Pourtant tous les vieux des villages du Burkina (et aussi du Mali...) savent que « celui qui dort sur la natte d’autrui, dort par terre ». Au-delà des mesures politiques qui seront prises pour faire face, à court terme, à cette crise alimentaire, celle-ci sera salutaire si elle nous réveille de notre sommeil, et si tous les Burkinabè se retrouvent enfin pour décider : « il est temps pour nous de dormir sur notre propre natte. »

Nous verrons la semaine prochaine comment pourrait se traduire politiquement ce « dormons sur notre propre natte ! »

 

Koudougou, le 15 mars 2006
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

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