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Les pauvres ont droit à plus de respect

Il y a environ un mois, j'ai été contacté par un responsable de la FAO, en poste à Ouagadougou. Il a la responsabilité d'un projet d'urgence en faveur des agriculteurs les plus démunis. Le projet couvre plusieurs provinces qui ont été déclarées prioritaires. Parmi celles-ci, se trouve la province du Sanguié, proche de Koudougou. Le coordonnateur de ce projet m'avait contacté pour me présenter le projet et me demander si je pouvais l'aider à rejoindre les 600 paysans les plus pauvres du Sanguié.

Le projet, pour l'essentiel, consiste à distribuer des semences améliorées de sorgho (gros mil). J'ai fais remarquer qu'autour de Koudougou, les sols étaient souvent épuisés. Et que les paysans les plus pauvres, les plus démunis faisaient certainement partie de ceux dont les champs étaient les plus fatigués. Offrir des semences améliorées à des agriculteurs non préparés ne servirait à rien. J'ai proposé de se tourner vers les paysans pauvres qui avaient commencé à faire le zaï.

Peut-être ne connaissez-vous pas plus le zaï que mon interlocuteur. En voici donc une brève présentation.

 

Une bonne façon de cultiver : le zaï

Au Burkina, surtout dans le nord du pays, les paysans cultivent, de plus en plus, selon la méthode du zaï; Cette méthode vient du Yatenga. Elle donne de bon résultats même quand la pluie est en retard, et même quand la pluie manque.
Quand la pluie est bonne, les récoltes sont très bonnes. Cette méthode est très bonne pour les semences améliorées qui ont besoin d’une bonne nourriture.

Avant la pluie

Les cultivateurs creusent des petits trous dans leurs champs. Ils placent ces trous comme pour semer,
en lignes et avec les bonnes distances entre eux (bons écartements).
Ils font ces trous plus grands que pour semer,
ils les font grands comme une calebasse pour boire.
Ils remplissent ces trous avec du fumier bien décomposé ou du compost qu’ils apportent et ils ferment ces trous avec la terre tirée du trou.
Ils sèment tout de suite si la pluie peut venir vite
ou bien ils sèment après la première bonne pluie.

Pourquoi cette façon de faire est bonne là où il ne pleut pas beaucoup  ?

Les trous boivent l’eau des premières pluies;
elle ne coule pas et mouille bien la terre.

Le compost ou le fumier décomposé retiennent bien l’eau :
elle s’évapore moins vite et ça sèche moins vite que la terre, et les cultures ne souffrent pas trop si la pluie manque plusieurs jours.

Le compost ou le fumier sont une bonne nourriture pour les cultures :
les jeunes pieds de mil, de sorgho ou de maïs poussent vite.

Dans la partie nord du Burkina, et même au centre, l’eau manquent souvent. Aussi, de plus en plus, les cultivateurs font de cette façon qui s’appelle zaï au Yatenga, son pays d’origine. Fais de même, tu ne seras pas déçu.

Mon interlocuteur m'a répondu qu'il s'occupait d'un programme d'aide d'urgence, et pas de développement. Qu'il n'était pas possible de se tourner seulement vers ceux qui pratiquent le zaï.

J'ai répondu : « C'est bien dommage. L'urgence, pour les paysans du Sanguié n'est pas d'utiliser des semences améliorées, mais bien d'apprendre à nourrir la terre. Avec la pression démographique, la jachère a été supprimée. Elle n'a pas été remplacée. Les semences ordinaires n'arrivent plus à produire leurs fruits. Vos semences améliorées ne trouveront pas la nourriture nécessaire pour développer leurs qualités. Au contraire, elles sont plus exigeantes, et donc plus fragiles »

Il m'a été répondu : « De toutes façons une semence améliorée, c'est mieux qu'une semence ordinaire !».

« Hélas non; pas dans n'importe quelles conditions ». Et en disant cela, je pensais aussi, aux « super vaches laitières – des Girando du Brésil – dont on avait fait « cadeau » aux éleveurs de Fada Ngourma et qui sont mortes en moins de deux mois.

J'ai poursuivi qu'en réservant les semences améliorées aux agriculteurs qui pratiquent le zaï, vous auriez eu la possibilité de faire avancer rapidement ce type de culture dans cette région, et aussi l'intérêt pour les semences améliorées. Les paysans qui auraient vu les bons résultats du zaï avec des semences améliorées se seraient intéressés à ces deux techniques, et cela aurait permis de faire reculer la pauvreté.

Il m'a été répondu que ce n'était pas possible.

Nous nous sommes séparés là dessus. A peine monté dans ma voiture, j'ai pensé que je n'avais pas été assez loin dans mes réflexions.

En effet, un tel programme risque bien de détourner pour de nombreuses années les paysans du Sanguié des semences améliorées. La récolte des paysans qui auront eu le « privilège » d'être sélectionnés pour profiter de cette aide d'urgence et donc de recevoir des semences améliorées, ont toutes les chances de faire une récolte encore moins bonne que les autres années. Ils n'auront aucune envie, à l'avenir, de dépenser de l'argent pour de telles semences.

Les pauvres ont droit à plus de respect.

Maurice Oudet
Président du SEDELAN
Koudougou, le 16 juin 2009.

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