a b c B u r k i n a

Protéger la paysannerie pauvre
dans un contexte de mondialisation (4)

 4. Les conséquences de l’appauvrissement de la paysannerie sous-équipée des pays en développement

L’impossible développement des pays agricoles pauvres

Mais la crise de la paysannerie mal lotie des pays en développement, n’a pas pour seule conséquence le renouvellement incessant de la misère rurale et de la misère urbaine. Elle réduit les capacités de production agricole des pays agricoles pauvres et elle accroît leur dépendance alimentaire (on compte plus de 80 «pays à faible revenu et déficit vivrier»). Surtout, elle leur interdit, à partir de ressources agricoles aussi maigres, de disposer d’un budget public et de recettes en devises suffisantes pour se moderniser à minima, même en se sur-endettant. Il en résulte que ces pays n’attirent pas assez de capitaux pour résorber la vague montante du chômage urbain et que les salaires ne décollent guère du niveau de revenu de la paysannerie pauvre. Ainsi, la hiérarchie des salaires dans les différentes parties du monde suit-elle de très près celle des revenus de la paysannerie (fig. 6).

L’insuffisance de la demande solvable et le freinage de l’économie mondiale

Au total, c’est la moitié de l’humanité qui, dans les campagnes et dans les bidonvilles, se retrouve avec un pouvoir d’achat insignifiant. Selon le PNUD: 2,8 milliards de personnes disposent aujourd’hui de moins de 2 dollars par jour, alors que 1,2 milliard d’entre elles disposent de moins de 1 dollar par jour. Cette immense insolvabilité des besoins sociaux, cette sous-consommation gigantesque, constitue aujourd’hui, le facteur qui limite le plus lourdement la croissance de l’économie mondiale.

Pour nourrir, sans sous-alimentation, 6 milliards d’humains, il faudrait d’ores et déjà augmenter d’un tiers la production végétale mondiale, et pour en nourrir 9 milliards dans 50 ans, il faudrait multiplier par près de 2 cette production . Il n’y a donc pas de surproduction agricole globale, mais bien une sous-consommation dramatique qui provoque l’apparition d’excédents difficilement vendables, souvent d’ailleurs vendus à perte, ce qui décourage encore un peu plus la production.

La régulation de la production agricole et alimentaire par le libre-échange international, qui tend à aligner partout les prix agricoles sur ceux du moins-disant mondial, est donc un mode de régulation doublement réducteur: d’un côté, il réduit la production en éliminant des couches toujours renouvelées de paysans souséquipés et en décourageant la production de ceux qui restent et, d’un autre côté, il réduit la demande solvable en abaissant le revenu des paysans, des autres ruraux et des personnes condamnées à l’exode. Au total, ce mode de régulation réduit la production et la consommation, et il ne permettra ni de doubler la production en 50 ans, ni de supprimer la pauvreté et la sous-alimentation.

On ne saurait en effet atteindre ces objectifs sans mobiliser toutes les capacités territoriales et humaines de la planète. La révolution agricole stricto sensu, peut s’étendre dans quelques régions des pays en développement, déjà touchées par la révolution verte, où la motomécanisation permettra d’accroître la superficie par travailleur et la productivité du travail, sans nécessairement accroître les rendements à l’hectare et la production, mais cela ne pourra que réduire l’emploi agricole et donc accroître l’exode rural. Dans certaines régions des pays développés, cette révolution agricole peut encore progresser en rendement par unité de surface et en production, mais dans d’autres régions par contre, ses excès doivent être largement corrigés. Enfin,elle pourrait aussi regagner des millions d’hectares abandonnés au cours des dernières décennies, du fait de la baisse des prix agricoles réels, dans les régions défavorisées pour une raison ou pour une autre (terres maigres, élevées, accidentées, caillouteuses, humides, sèches, etc.), mais elle pourra le faire seulement à condition que les prix agricoles soient suffisants, que la demande solvable mondiale soit à la hauteur des besoins et donc que la pauvreté planétaire soit combattue efficacement. À condition aussi que la recherche-développement, qui a privilégié les régions favorisées réoriente une part importante de ses moyens pour diversifier ses matériels biologiques et mécaniques et les adapter à ces régions.

De manière analogue, la révolution verte dans sa forme classique peut encore progresser en rendement dans certaines régions et peut encore s’étendre dans quelques régions relativement favorables, elle devra par contre corriger certains excès dans d’autres régions. Mais tout cela ne résoudra pas le problème de l’appauvrissement extrême et de la sous-alimentation de centaines de millions de paysan: pour qu’une «seconde révolution verte» s’étende aux régions désavantagées et aux exploitations agricoles pauvres, il faudra non seulement que des moyens de recherche-développement appropriés soient massivement réorientés vers les besoins de ces régions et de ces exploitations, mais il faudra aussi que la viabilité économique de celles-ci soit enfin assurée. Ce qui suppose un relèvement important des prix agricoles, qui sont aujourd’hui beaucoup trop bas pour leur permettre d’investir et de progresser, ou même simplement pour leur permettre de se maintenir, au delà de la durée d’un projet.

5. Propositions pour lutter efficacement contre l’appauvrissement, pour lancer le développement desplus pauvres et pour relancer l’économie mondiale

6. Conclusion

L’expérience des dernières décennies a montré que, pour se développer, les exploitations paysannes, non subventionnées, ont besoin de prix agricoles suffisants non seulement pour survivre, mais encore pour investir et pour progresser. Ce que le libre-échange agricole ne peut certainement pas apporter à la très grande majorité des exploitations paysannes du monde. Bien au contraire, si ce libre-échange devait s’imposer, la baisse tendancielle des prix agricoles réels et leurs fluctuations condamneraient encore à la stagnation, à l’appauvrissement, à l’exode, puis au chômage et aux bas salaires, des centaines de millions de paysans supplémentaires, dans les pays en développement surtout, mais aussi dans une moindre mesure dans les pays développés.

Pour éradiquer la pauvreté et la sous-alimentation et lancer le développement des pays agricoles pauvres, ainsi que pour relever la demande solvable globale, insuffisante, relancer l’économie mondiale et réduire le chômage planétaire, il faut protéger les agricultures paysannes à la dérive, ou même seulement en difficulté, c’est-à-dire organiser et réguler les échanges agricoles internationaux de manière vivable pour tout le monde.

La question n’est donc pas de choisir entre mondialisation et non mondialisation, mais de choisir entre une mondialisation aveuglément libérale, excluante pour les pauvres qui se heurte à des résistances, et une mondialisation réfléchie, organisée et régulée, profitable à tous, qui devrait recevoir un large soutien.

Table de matières

1. Introduction

2. Une situation agricole et alimentaire mondiale insoutenable

2.1 Inégalités agricoles et pauvreté paysanne de masse

2.2 Pauvreté paysanne et insuffisances alimentaires

2.3 Les raisons très actuelles de l’appauvrissement extrême de centaines de millions de paysannes et de paysans

3. Origine et modalités de reproduction des inégalités agricoles, de la pauvreté paysanne et des insuffisances alimentaires

3.1 Le triomphe de la révolution agricole contemporaine dans les pays développés

3.2 Les limites de la révolution agricole dans les pays en développement

3.3 La crise des agricultures paysannes sous-équipées des pays en développement

4. Les conséquences de l’appauvrissement de la paysannerie sous-équipée des pays en développement

5. Propositions pour lutter efficacement contre l’appauvrissement, pour lancer le développement des plus pauvres et pour relancer l’économie mondiale

6. Conclusion

 

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