Argumentation contre les Accords de Partenariat Economique (APE)

entre l'Union européenne et les pays d'Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP)

Jacques Berthelot (This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.), Solidarité (http://solidarite.asso.fr)

8 décembre 2006

PLAN

1 – La quasi unanimité des critiques substantielles contre les APE

2 – L'OMC n'impose pas la réciprocité commerciale prévue par les APE

3 – La situation économique des PED non PMA d'Afrique de l'Ouest est comparable à celle des PMA

4 – L'UE doit déduire la part des importations des PMA exemptées de réduction tarifaire

5 – Le sort incertain du Doha Round justifie de prolonger la dérogation pour signer les APE

6 – Les règles de l'OMC impliquent un très long délai pour mettre en oeuvre les APE

7 – L'Accord de Cotonou n'oblige pas l'UE à réduire son dumping

8 – L'UE est mal placée pour affirmer que les APE sont imposées par les règles de l'OMC 

 

I – La quasi unanimité des critiques substantielles contre les APE

 Ø      La Commission européenne justifie les APE avec un raisonnement par l'absurde : puisque les accords commerciaux préférentiels de la Convention de Lomé n'ont pas empêché les pays ACP de s'appauvrir, leur administrer le remède de cheval d'une exposition de plein fouet au libre-échange avec leur principal partenaire commercial déclenchera nécessairement une réaction salutaire qui accroîtra fortement leur compétitivité : "La coopération commerciale passée ACP-UE, qui a en premier lieu été bâtie sur ces préférences commerciales non réciproques, n'a pas produit les résultats espérés. Bien qu'elle ait accordé un accès à droits nuls à pratiquement tous les produits, cela n'a pas empêché la marginalisation accrue des pays ACP dans le commerce mondial (durant la période d'application des Conventions de Lomé successives la part des pays ACP dans les exportations mondiales est tombée de 3,4 % à 1,1 %), ni n'a empêché la part des pays ACP dans les importations totales de l'UE de baisser… de 6,7 % en 1976 à 2,8 % en 1999, ni la part des pays ACP dans les investissements directs de l'UE de tomber encore plus bas (de 2,8 % en 1996 à 1,7 % en 1999)… Les préférences commerciales peuvent conférer une marge de compétitivité mais elles ne génèrent pas des échanges automatiquement… C'est pourquoi une approche plus globale est requise… Les Accords de Partenariat Economique sont un instrument pour réaliser ces objectifs… en enlevant progressivement toutes les barrières aux échanges entre l'UE et les groupements de pays ACP et en renforçant la coopération dans tous les domaines relevant des échanges"[1]. C'est un raisonnement aussi absurde que celui qui consisterait pour un éleveur de poulets à ouvrir la porte du poulailler pour que les renards puissent éprouver la capacité de résistance des poulets. 

 

Ø      En fait les dispositions de l'Accord de Cotonou sont profondément contradictoires

o        "Le partenariat est centré sur l'objectif de réduction et, à terme, d'éradication de la pauvreté, en cohérence avec les objectifs du développement durable et d'une intégration progressive des pays ACP dans l'économie mondiale" (article 1er).

o        "Le but ultime de la coopération économique et commerciale est de permettre aux États ACP de participer pleinement au commerce international… facilitant ainsi leur transition vers l'économie       mondiale libéralisée" (article 34).

o        "La coopération économique et commerciale se fonde sur les initiatives d'intégration régionale des États ACP, considérant que l'intégration régionale est un instrument clé de leur intégration dans l'économie mondiale" (article 35).

o        Est ainsi posé le postulat que le développement durable et l'élimination de la pauvreté dans les pays ACP impliquent une intégration accrue au marché mondial. Malgré l'accroissement de la pauvreté et de la faim, ce n'est pas au système commercial international et à l'UE d'adapter leurs règles à la situation des pays ACP mais c'est à ceux-ci de s'adapter coûte que coûte à l'inéluctable libéralisation.

o        L'APE prétend à la fois : a) être compatible avec les règles de l'OMC, notamment le traitement spécial et différencié (TSD) à accorder à tous les Etats ACP et celui, supérieur, à accorder à ceux qui sont des PMA; et b) promouvoir l'intégration régionale réelle des pays ACP.

o        En fait la formule "considérant que l'intégration régionale est un instrument clé de leur intégration dans l'économie mondiale" n'impose pas l'interprétation exclusive que cela interdit une protection douanière supérieure des groupements régionaux d'ACP vis-à-vis du reste du monde, "l'intégration dans l'économie mondiale" devant s'entendre comme le niveau d'intégration commerciale compatible avec une réelle intégration régionale apte à promouvoir un développement à long terme qui est posée comme préalable par l'UE. Encore que l'on ne sache pas vraiment bien si son but ultime n'est pas plutôt l'intégration des pays ACP dans l'économie mondiale comme l'affirme l'article 34, l'intégration régionale n'étant qu'une étape, dans l'optique visée par la Banque mondiale et le FMI de les obliger à abaisser parallèlement leurs droits NPF vis-à-vis des pays autres que l'UE (voir plus bas).

o        L'affirmation qu'une insertion accrue des pays ACP au marché mondial – c'est-à-dire principalement de l'Afrique sub-saharienne (ASS) puisqu'elle concentre 4 APE sur 6 et 94% de la population des pays ACP – est une condition essentielle du développement est démentie par les faits.

ü     Sous prétexte que la part des échanges de l'ASS dans le total mondial a baissé de 2% en 1990 à 1,6% en 2004, on en déduit qu'elle n'est pas assez insérée dans le marché mondial, ce qui est une contre-vérité puisque la part de ses échanges dans le PIB était en 2003 de 52,7% contre 41,5% en moyenne mondiale[2].

ü     Ces taux allaient de 19% aux EU à 19,9% au Japon, 24,1% en Asie du Sud, 30% dans la zone euro[3], 34,9% dans les pays à bas revenu, 38,3% dans les PED à haut revenu, 38,7% au Royaume-Uni, 42,2% en Amérique latine, 50,4% au Moyen Orient et Afrique du Nord. Parmi les plus insérés, il y a des pays émergents (70,5% en Asie de l'Est et Pacifique) et des pays très pauvres (62,9% dans les pays pauvres lourdement endettés).

ü     Globalement, la richesse des pays est donc inversement proportionnelle à leur insertion dans le commerce mondial, l'Asie de l'Est et du Pacifique et les pays à bas revenu (dont l'Asie du Sud, qui s'explique par l'importance de leurs marchés intérieurs, en particulier de l'Inde) étant deux exceptions notables.

o       La coexistence au sein des pays ACP, par exemple de la CEDEAO, de 12 PMA non astreints à ouvrir leur marché aux exportations de l'UE au titre de TSA et de 3 autres obligés de le faire au titre de l'APE avec l'UE rendrait quasiment impossible l’intégration régionale, s'il n’y a pas de tarif extérieur commun (TEC) unique et si celui-ci n’est pas suffisamment protecteur, notamment pour les produits alimentaires. Maintenir deux tarifs paralyserait les échanges internes et ferait voler l'intégration en éclat – les PMA étant obligés de se protéger contre la réexportation des produits de l'UE entrés à droits nuls dans les 3 pays non PMA –, alourdirait infiniment les coûts de contrôle des règles d'origine et donnerait lieu à d'énormes fraudes. Ces coûts s'ajouteraient à la perte de recettes douanières suite à la mise en place du TEC, particulièrement pour le Nigeria.

 

Ø      La plupart des évaluations des APE sont ambiguës, car essentiellement financées par l'UE

o        Tout en soulignant leurs effets négatifs sur les agriculteurs, les recettes fiscales, la hausse du chômage, la baisse des revenus, la déstabilisation politique,

o        Elles concluent pratiquement toutes que "les consommateurs dans les pays africains seront les principaux bénéficiaires des APE"[4] et que les mesures d'accompagnement permises par l'aide financière de l'UE devraient atténuer les effets négatifs.

o        Pour être plus concret on se limitera aux évaluations portant sur l'Afrique de l'Ouest :

ü     Sobia – synthèse d'évaluations sur la CEDEAO ou l'UEMOA, ou sur certains pays (Côte d'Ivoire, Nigéria, Sénégal) soulignant les pertes de recettes fiscales avoisinant 15% dans la plupart des pays[5].

ü     Le Ministère de l'agriculture de Guinée, aux appréciations contradictoires : "Pour l’Etat une perte de… 40% des recettes fiscales sur les importations alimentaires ou 4 % des recettes publiques…  L'APE… devrait augmenter au moins à Conakry le pouvoir d’achat des ménages : + 3,11 % pour les pauvres et + 2,7 % pour les ménages moyens"[6].

ü     PCI International Consulting sur le Burkina Faso est aussi très contradictoire : "L’application du TEC et de la TVA de porte a eu pour effet de réduire les écarts entre les taux de taxation des différentes catégories de biens importés. Cette baisse n’a pas été répercutée aux …consommateurs du fait de l’entente des commerçants… La crainte dans le cadre des APE est qu’il n’y ait pas de baisse de prix pour relancer la consommation"[7]. Il conclut néanmoins : "En définitive, les effets négatifs d'un APE semblent de loin supérieurs aux effets bénéfiques pour un pays comme le Burkina, si des appuis aux ajustements ne sont pas opérés".

ü     PricewaterhouseCoopers et al. a évalué l'impact de l'APE sur les filières agricoles d'Afrique de l'Ouest :        

§         "La population rurale est plus pauvre que la population urbaine, donc… une pleine libéralisation accroîtra probablement la pauvreté en zones rurales et accroîtra les inégalités. Mais…la population urbaine croît plus vite que la population rurale et la pauvreté augmente en zones urbaines. Si les urbains pauvres deviennent plus nombreux que les ruraux pauvres la pleine libéralisation améliorera la sécurité alimentaire, en fournissant une alimentation à bon marché aux consommateurs urbains"[8].

§         La Banque mondiale et le FMI doivent se réjouir de cette analyse.

§         Mais cet avantage relatif des consommateurs urbains pauvres ne se produirait évidemment qu'à court terme car, s'il n'y a pas de développement agricole dans des pays où les agriculteurs constituent les 2/3 de la population, il n'y aura pas de développement global et avec quoi alors les consommateurs urbains achèteront-ils ces aliments importés à bas prix? Mamadou Cissokho a d'ailleurs clairement répondu : "La Banque mondiale dit… "le prix auquel vous faites le riz est trop cher…il faut permettre            l’importation du riz". Mais si le riz est sur le marché à un centime et si les 300 000 familles ont perdu leur activité, donc leur revenu, que vont-elles acheter? Comment vont-elles vivre?"[9].

§         D'autant que rien ne dit que les prix mondiaux resteront à bas prix et tout indique au contraire qu'ils seront très volatils, donc très élevés certaines années où les pays pauvres qui auront libéralisé leur agriculture seront réduits à la famine. C'est la conclusion de l'analyse de Jean-Marc Boussard et al. pour qui "du fait de la libéralisation, les prix deviennent de plus en plus volatils"[10].

ü     Une autre conclusion fréquente, notamment de PricewaterhouseCoopers, est que les APE vont faciliter l'intégration régionale, sous-entendu parce que l'aide financière de l'UE est conditionnée à l'adoption des APE et que les pays d'Afrique de l'Ouest n'ont pas la volonté de la promouvoir eux-mêmes.

ü     Selon la synthèse des impacts de l'APE d'Afrique de l'Ouest établie par le GRET et la Plateforme en décembre 2005, "Le scénario de libéralisation privilégié par les auteurs repose sur une libéralisation asymétrique et une augmentation du TEC pour les produits les plus sensibles. La plupart des biens agricoles et agroalimentaires susceptibles d’être concurrencés par des importations européennes devraient ainsi être exclus de la libéralisation. La limite de 20% des flux semble acceptable, car elle permet une protection des produits sensibles ou stratégiques et est compatible avec l’article XXIV du GATT. La possibilité d’appliquer ce TEC remanié est souhaitée majoritairement jusqu’à la fin de la mise en oeuvre de l’APE, c'est-à-dire 2020 pour tenir compte du différentiel de niveau de développement des deux zones. A l’issue de cette période, la compétitivité du secteur agricole ouest-africain sera évaluée et en fonction des conclusions une libéralisation plus complète pourra être envisagée. Cependant les auteurs soulignent tous que le volet développement de l’APE, c'est-à-dire l’appui par l’UE du processus d’intégration et de renforcement de capacité de la région, doit être conséquent et qu’il est une des conditions pour que l’APE atteigne ses objectifs de développement durable"[11]. Sous condition d'une aide financière accrue de l'UE cette étude admet donc qu'une ouverture de l'Afrique de l'Ouest à 80% des exportations de l'UE suffit pour mettre à l'abri ses produits sensibles, en oubliant qu'il n'y a pas que des produits agricoles, et qu'une période de 12 ans suffit aussi avant d'envisager une libéralisation à plus de 80%.

ü     Pourtant la Commission de l'UE a avancé des proportions de libéralisation des échanges allant de 67 à 83% selon les régions africaines (Maerten, C. 2005.). Et le ROPPA a proposé de limiter l'ouverture de l'Afrique de l'Ouest à 50%, "ce qui conduirait à un taux de libéralisation de l’ensemble du commerce de 72%. Dans ce cas, les marges de manoeuvre de l’Afrique de l'Ouest deviennent plus importantes. Elles permettent d’exclure du processus d’ouverture de son marché à la fois les produits alimentaires et d’autres produits jugés sensibles. Ce peut être le cas de produits agricoles non alimentaires ou d'un certain nombre de produits industriels, notamment de l'industrie textile et des industries d'amont et d'aval de la production agricole"[12]. Il apparaît également que "les conditions de cette asymétrie d'ouverture restent ouvertes (Stevens, C., Kennan, J, 2005) et, de l'avis même de la Commission UE (DG Commerce), il conviendrait d'oublier ce parallèle malheureux avec l'Accord Afrique du Sud. Comme cela a été souligné précédemment il existe d'autres précédents (infra, 1.3), notamment avec les accords d'association entre l'UE et les pays méditerranéens, qui n'imposent pas de seuils à la réciprocité"[13].

o        D'autres analyses sont cependant plus critiques :

ü      Abdou rapporte que l'atelier régional des 20-22 septembre 2005 sur l'APE UE-CEDEAO a conclu que : "La signature d’un APE présente plus de risques pour les économies de la zone que des opportunités… Le volet développement de l’accord n’est pas clarifié, notamment les objectifs du 5ème groupe de négociation qui sera chargé du volet agricole… La nécessité d’une meilleure intégration des marchés de la zone avant toute mise en oeuvre de l’APE"[14].

ü      Surtout les organisations paysannes ont clairement souligné les énormes risques de l'APE pour les paysanneries africaines, déjà non compétitives.

§      Pour Ndao,            "Afin d’éviter la disparition des producteurs africains, les organisations paysannes préconisent… la réhabilitation d’autres outils qui ont montré leur efficacité tels que les         contingentements à l’importation et les prélèvements variables"[15].

§      La Convention du ROPPA (Réseau des Organisations paysannes et des producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest) s'est engagée le 2 avril 2006 à "mobiliser le ROPPA pour faire connaître aux Etats le désaccord des OPPA avec les APE et leur vive inquiétude quant aux menaces réelles que la conclusion de tels accords pourrait avoir sur l’avenir de 15 millions de familles rurales de l’Afrique de l’Ouest"[16].

§      Les représentants des organisations paysannes des 3 régions ACP – le ROPPA, l'EAFF (East African Farmer’s Federation) et la WINFA (Windward Island Farmers Association) – ont déclaré le 19 juin 2006 à Vienne : "Pour les organisations paysannes, il est urgent de développer et d’argumenter des alternatives au schéma de libéralisation dogmatique conçu actuellement par les négociateurs des APE. Les marges de manœuvres sont bien réelles, y compris vis-à-vis de l’OMC, tant sur les délais de constitution des APE que sur les asymétries des échanges entre les ACP et l’UE. Une partie très large du secteur agricole pourrait bénéficier d’une protection temporaire, voire permanente. Elle est justifiée par les études d’impacts qui ont été développées dans le contexte des négociations des APE"[17].

o        Les APE sont si absurdes que les pays ACP n'ont cessé de les dénoncer depuis le début du processus de négociation en 2002 et leurs critiques se sont renforcées récemment[18], de même que celles de la société civile[19], en dépit du fait que l'UE a essayé "d'acheter" leur accord avec la carotte de son aide financière.

 

Ø      Malgré ces évaluations négatives, la Commission de l'UE conclut à leur impact positif :

o        Pourtant les critiques de ces évaluations sont modérées par le fait qu'elles ont été financées essentiellement par la Commission européenne.

o        Et, bien que ces évaluations ne soient pas terminées, la Commission a déjà conclu depuis fin 2005 qu'elles étaient globalement positives et qu'il ne faisait pas de doute que les APE seraient signés : "L’évaluation de l’impact sur le développement durable (EID) des APE, financée par la Commission et lancée en septembre 2002, a également fait partie des discussions avec les acteurs non étatiques des ACP et de l’UE. L’EID continue de fournir une base d’analyse ainsi que des recommandations sur les perspectives et les défis des APE. Dans l’ensemble, elle confirme les prévisions faites en la matière pour les APE dans les domaines économique, social et environnemental et estime qu’il est plus avantageux de conclure un APE que de ne pas en conclure"35.

o        Dans son évaluation d'octobre 2005 pour l'APE d'Afrique de l'Ouest, la Commission conclut que "Le principal objectif de la première phase, qui portait sur l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest, a généralement été atteint dans les domaines concernant directement le commerce des produits: zone de libre-échange, union douanière, facilitation du commerce, normes techniques et contrôle de la qualité, normes sanitaires et phytosanitaires. Les autres domaines de négociation – droits de propriété intellectuelle, politique de concurrence, commerce des services et cadre pour les investissements, plus d’autres questions liées au commerce – ont fait l’objet de discussions qui doivent se poursuivre. Pour ce qui est des travaux sur les secteurs de production, il a été décidé qu’ils se poursuivraient durant tout le processus de négociation et de mise en oeuvre de l’APE"[20], si bien que "La réunion ministérielle qui a eu lieu à Bruxelles le 27 octobre 2005 s’est soldée par un accord en vue de commencer les travaux sur la phase suivante des négociations en janvier 2006, avec l’adoption d’un calendrier qui se terminerait par une réunion ministérielle fin 2006, afin de sanctionner le texte de l’accord et d’entamer les négociations sur la libéralisation".

o        Tout se passe donc comme si, quelle que soit l'ampleur des impacts négatifs des APE, les pays ACP, notamment d'Afrique de l'Ouest, n'avaient d'autre choix que de s'y résigner, en espérant que des aides financières complémentaires en réduiront les effets négatifs.

o        C'est là une erreur profonde : des perfusions temporaires de fonds ne permettront jamais de se substituer à la perte de compétitivité des entreprises, notamment des exploitations agricoles, avec la quasi-irréversibilité des réductions tarifaires qui, une fois consenties à l'UE, seront inévitablement généralisées au reste du monde dans les négociations de l'OMC, voire même avant sous la pression du FMI et de la Banque mondiale (voir plus bas).

 

Ø      Puisque 11 années de mise en oeuvre des accords de l'OMC ont déjà fait beaucoup de dégâts chez les PED les plus pauvres et n'ont pas empêché le nombre de personnes souffrant de sous-nutrition chronique d'augmenter, les APE leur seraient évidemment bien plus funestes puisqu'ils impliquent une ouverture commerciale bien plus élevée et même l'imposition des "thèmes de Singapour" – les règles sur les investissements, la concurrence et les marchés publics – que les PED ont pourtant refusé à l'OMC. En fait la médicine de l'UE déclenchera une course vers l'abîme dans les pays ACP avec les effets boomerang prévisibles sur l'UE : très forte hausses de l'immigration clandestine, du trafic de drogues, et poussée vraisemblable du terrorisme.

 

Ø      De plus les APE ont été dénoncés par la Chambre des Communes, le gouvernement britannique et l'Assemblée Nationale française

o        Parallèlement à un rapport sur les APE de mars 2005 de la Commission du développement international de la Chambre des Communes, le Ministère du commerce et de l'industrie (DTI) et le Ministère du développement international (DFID) du Royaume-Uni ont publié le même mois une prise de position intitulée "Mettre les APE au service du développement", soulignant que "Dans son travail sur les APE avec les groupements régionaux de pays ACP, l'UE devrait suivre une approche non mercantiliste et ne poursuivre aucun intérêt offensif. Les pays en développement peuvent tirer profit de la libéralisation à long terme, pourvu qu'ils aient la capacité économique et l'infrastructure dont ils ont besoin pour commercer de façon compétitive. Cependant, sans cette capacité ou les conditions appropriées, la libéralisation des échanges peut être dommageable… Nous n'obligerons pas les pays en développement à libéraliser leurs échanges soit à travers les négociations commerciales soit à travers la conditionnalité de l'aideL'UE devrait proposer à l'OMC que l'article XXIV de l'Accord général sur les droits de douane et le commerce soit révisé comme suggéré par la Commission [des Nations Unies] pour l'Afrique, en vue de réduire les exigences de réciprocité et de se recentrer davantage sur les priorités du développement"[21].

o        L'Assemblée Nationale française est encore plus directe : "Ces négociations vont droit à l'échec… Si la Commission persiste, l'Europe commettra une erreur politique, tactique, économique et géostratégique… Pouvons-nous vraiment prendre la responsabilité de conduire l'Afrique, qui abritera, dans quelques années, le plus grand nombre de personnes vivant avec moins de un dollar par jour, vers davantage de chaos, sous couvert de respecter les règles de l'OMC ? Croit-on que ce chaos se limitera à l'Afrique, ce qui serait déjà insupportable ?... Et si nous devions encore persister dans cette voie, nous aurons contribué au délitement, sinon à la fin, du partenariat UE-ACP… Il y a donc une nécessité absolue pour les politiques à donner un nouveau mandat de négociations à la Commission, à la suite d'une initiative franco-britannique"[22].

o        C'est sûrement pour tenir compte de l'ouverture beaucoup plus large de plusieurs Etats membres de l'UE que de la Commission européenne elle-même – notamment par ce que c'est la DG Commerce et non la DG Développement qui négocie les APE – que les pays ACP ont commencé à interpeller directement les Etats-Membres, et notamment l'Allemagne qui assumera la présidence de l'UE au premier semestre 2006 – sur la nécessité de modifier radicalement la conception des APE.

 

 

II – L'OMC n'impose pas la réciprocité commerciale prévue par les APE

 

Malgré les affirmations contraires de la Commission européenne, partagées par la plupart des commentateurs, plusieurs dispositions de l'OMC n'imposent pas la fin des préférences commerciales non réciproques, donc les APE.

 Ø      L'assertion que des accords commerciaux réciproques, donc de libre-échange, sont les seuls compatibles avec l'OMC est très contestable car une centaine de dispositions de l'OMC insistent sur la nécessité d'accorder aux PED un traitement spécial et différencié (TSD) dans tous les cas, ce que les APE contredisent radicalement. C'est en effet l'UE qui bénéficierait d'un énorme TSD à rebours puisque son marché est déjà ouvert à 97% aux exportations agricoles des ACP, 3% seulement payant les droits de douane à taux plein, et à 100% de leurs exportations industrielles. Seuls les pays ACP seraient contraints de démanteler 80% de leurs droits de douane si l'UE s'ouvrait à 100% aux exportations de l'Afrique de l'Ouest.

 

Ø      Le paragraphe 8 de l'article XXXVI du GATT, ajouté en 1965 en même temps que les articles XXXVII et XXXVIII pour constituer la Partie IV ("Commerce et développement") du GATT de 1947, stipule : "Les parties contractantes développées n'attendent pas de réciprocité pour les engagements pris par elles dans des négociations commerciales de réduire ou d'éliminer les droits de douane et autres obstacles au commerce des parties contractantes peu développées".

o        Et l’interprétation de ce paragraphe 8 de l'article XXXVIII par l’OMC précise : "Il faut entendre que la phrase "n’attendent pas de réciprocité" signifie, en accord avec les objectifs établis dans cet article, qu’on ne doit pas attendre que les parties contractantes moins développées, dans le cadre des négociations commerciales, fassent des contributions qui soient incompatibles avec leurs besoins individuels de développement, financiers et commerciaux, en prenant en considération les développements commerciaux passés".

o        Ne pas avoir inclus cette disposition dans l'article XXIV du GATT tient au fait qu'il s'agit d'une disposition de portée aussi générale que celles de l'article XXIV qui porte sur l'autorisation des unions douanières et zones de libre-échange. Par conséquent l'affirmation du groupe des pays ACP Membres de l'OMC que "il n'existe pas de disposition spécifique concernant le traitement spécial et différencié de jure des pays en développement pour satisfaire aux prescriptions énoncées à l'article XXIV du GATT de 1994"[23], et leur demande en conséquence de l'y ajouter, sont contestables. Cela dévalorise la portée des autres articles du GATT faisant référence au TSD, dont les articles XXXVI à XXXVIII, et il faudrait alors introduire la référence au TSD dans tous les autres articles!

o        L'article XXIV.8.b définit les conditions de fonctionnement des zones de libre échange : "On entend par zone de libre-échange un groupe de deux ou plusieurs territoires douaniers entre lesquels les droits de douane et les autres réglementations commerciales restrictives… sont éliminés pour l'essentiel des échanges commerciaux portant sur les produits originaires des territoires constitutifs de la zone de libre-échange".

o        L'Organe d'appel de l'OMC a statué, dans l'affaire "US – Gasoline", que "L'un des corollaires de la "règle générale d'interprétation" de la Convention de Vienne est que l'interprétation doit donner un sens et un effet à tous les termes d'un traité. Un interprète n'est pas libre d'adopter une lecture dont le résultat serait de rendre redondants ou inutiles des clauses ou des paragraphes entiers d'un traité"[24]. Par conséquent l'article XXIV doit être compatible avec l'article XXXVI.

o        L'UE a d'ailleurs invoqué dans le passé l'article XXXVI du GATT pour justifier les préférences unilatérales des Conventions de Lomé 1, 2 et 3[25].

 

Ø      L'article XXXVI.8 est repris par les articles 1 et 5 de la "Clause d'habilitation"[26] – dont le titre officiel est "Traitement différencié et plus favorable, réciprocité et participation plus complète des pays en développement, Décision du 28 novembre 1979" – qui stipulent :

o     Article 1 : "Nonobstant les dispositions de l'article premier de l'Accord général, les parties contractantes peuvent accorder un traitement différencié et plus favorable aux pays en voie de développement, sans l'accorder à d'autres parties contractantes."

o     Article 5 : "Les pays développés n'attendent pas de réciprocité pour les enga­gements, pris par eux au cours de négociations commerciales, de réduire ou d'éliminer les droits de douane et autres obstacles au commerce des pays en voie de développement, c'est‑à‑dire que les pays développés n'attendent pas des pays en voie de développement qu'ils apportent, au cours de négo­ciations commerciales, des contributions incompatibles avec les besoins du développement, des finances et du commerce de chacun de ces pays. Les parties contractantes développées ne chercheront donc pas à obtenir, et les parties contractantes peu développées ne seront pas tenues d'accorder, des concessions incompatibles avec les besoins du développement, des finances et du commerce de ces dernières."

o     L'article 2 précise les éléments et cas auxquels s'applique ce TSD : a) TSD accordé par les pays développés aux PED dans le cadre de leur SPG (Système généralisé de préférences); b) TSD pour les mesures non tarifaires; c) accords régionaux entre PED; d) TSD accordé aux PMA. 

 

Ø      En fonction de ces règles de la Clause d'habilitation, qui a été incorporée au GATT 1994, la majorité des commentateurs et des Membres de l'OMC, et d'abord la Commission européenne, affirment que ce TSD entre pays développés et PED ne peut jouer que dans le cadre des préférences accordées par les pays développés à l'ensemble des PED (comme avec les SGP) ou de ceux d'un même niveau de développement comme les PMA (avec la Décision "Tout sauf les armes" de l'UE). On ne pourrait pas l'accorder seulement à des PED sélectionnés sur une base géographique comme c'est le cas des pays ACP qui rassemblent d'ailleurs à la fois des PMA et des PED non PMA dans les 6 groupements régionaux identifiés par l'UE pour négocier les APE.

 

Ø      Cette interprétation dominante est très contestable pour plusieurs raisons :

o        La note 2 de bas de page du paragraphe 2 de la Clause stipule : "Il restera loisible aux Parties Contractantes d'examiner selon l'espèce, au titre des dispositions de l'Accord général concernant l'action collective, toutes propositions de traitement différencié et plus favorable qui ne relèveraient pas des dispositions du présent paragraphe", c'est-à-dire en dehors des 4 cas énumérés, et notamment en dehors du cadre des SPG et des PMA. Autrement dit les Membres de l'OMC sont libres de décider d'accorder aux pays ACP, qui regroupent les PED les plus pauvres, la non réciprocité commerciale dans les accords particuliers conclus avec les pays développés.

 

o        Cela est renforcé par le paragraphe 7 de la Clause qui renvoie à l'article XXXVI du GATT : "Les concessions accordées et les contributions apportées ainsi que les obligations assumées dans le cadre des dispositions de l'Accord général par les parties contractantes développées et les parties contractantes peu développées devraient promouvoir les objectifs fondamentaux dudit Accord, y compris ceux qui sont inscrits dans le Préambule et dans l'article XXXVI."

 

o        Surtout, contrairement à l'analyse de la majorité des Membres de l'OMC et en particulier de la Commission européenne, ainsi que des commentateurs, une autre interprétation de l'alinéa c) du paragraphe 2 de la Clause s'impose :

ü     Ce paragraphe 2 précise les cas d'application du paragraphe 1 précité : "Les dispositions du paragraphe 1 s'appliquent aux éléments ci-après :… c) arrangements régionaux ou mondiaux conclus entre parties contrac­tantes peu développées en vue de la réduction ou de l'élimination de droits de douane sur une base mutuelle et, conformément aux critères ou aux conditions qui pourraient être prescrits par les Parties Contractantes, en vue de la réduction ou de l'élimi­nation, sur une base mutuelle, de mesures non tarifaires, frappant des produits que ces parties contractantes importent en provenance les unes des autres".

ü      Au lieu de dire que ce paragraphe autorise les "arrangements régionaux", c'est-à-dire les unions douanières ou accords de libre-échange entre pays en développement – ce qui serait totalement redondant avec l'article XXIV du GATT qui autorise ces accords entre toutes ses Parties Contractantes (aujourd'hui entre les tous les Membres de l'OMC, qu'ils soient développés ou PED) –, l'interprétation qui s'impose est que "les parties contractantes peuvent accorder un traitement différencié et plus favorable aux pays en voie de développement" (paragraphe 1) lorsqu'ils sont regroupés en unions douanières ou zones de libre-échange (paragraphe 2.c). D'ailleurs la FAO observe que "Parmi les Parties Contractantes, les vues sont partagées quant à savoir si la Clause d'habilitation couvre les accords d'intégration régionale (unions douanières et zones de libre échange) pour lesquelles des dispositions sont aussi établies dans l'Article XXIV."[27]

ü     Et, pour qu'elle ne soit pas redondante avec l'article XXIV, cette disposition de la Clause d'habilitation doit signifier autre chose qui corresponde au titre de la Clause : "Traitement différencié et plus favorable, réciprocité et participation plus complète des pays en développement". Le fait que les ACR relevant de la Clause soient désormais à notifier au Comité du commerce et du développement et non au Comité des accords commerciaux régionaux comme ceux conclus au titre de l'article XIV du GATT ne change rien au fond des contraintes[28].

ü     On pourrait avancer que la Clause d'habilitation ne fait pas double emploi avec l'article XXIV du GATT, qui concerne tous les Membres de l'OMC, alors que la Clause exempterait les accords de libre-échange et unions douanières entre PED de la contrainte essentielle de ne pas pouvoir relever les droits de douane de la zone de libre-échange plus que ne l'étaient en moyenne auparavant ceux des Etats membres, contrainte inscrite au paragraphe 5 de l'article XXIV : "Les dispositions du présent Accord ne feront pas obstacle, entre les territoires des parties contractantes, à l'établissement d'une union douanière ou d'une zone de libre-échange ou à l'adoption d'un accord provisoire nécessaire pour l'établissement d'une union douanière ou d'une zone de libre-échange, sous réserve… b) que, dans le cas d'une zone de libre-échange ou d'un accord provisoire conclu en vue de l'établissement d'une zone de libre échange, les droits de douane maintenus dans chaque territoire constitutif et applicables au commerce des parties contractantes qui ne font pas partie d'un tel territoire ou qui ne participent pas à un tel accord, lors de l'établissement de la zone ou de la conclusion de l'accord provisoire, ne seront pas plus élevés, ni les autres réglementations commerciales plus rigoureuses que ne l'étaient les droits et réglementations correspondants en vigueur dans les mêmes territoires avant l'établissement de la zone ou la conclusion de l'accord provisoire, selon le cas".

ü      Mais cette possibilité n'est pas explicitée par la Clause d'habilitation et n'a pas été reconnue par l'Organe d'appel de l'OMC dans le cas Inde-UE sur son SPG puisque si, dans ses conclusions, il confirme que la Clause d'habilitation est une exception à l'article I:1 du GATT, il ajoute qu'il "confirme la constatation formulée par le Groupe spécial au paragraphe 7.53 de son rapport, selon laquelle la Clause d'habilitation "n'exclut pas l'applicabilité" de l'article I:1 du GATT de 1994"[29].

ü      Autrement dit les accords de libre-échange ou unions douanières entre PED ne les autorisent pas à relever leurs droits de douane vis-à-vis des pays tiers au-delà du niveau moyen antérieur de ses différents Etats membres, conformément à la règle générale de l'article XXIV.5.b. C'est ce que confirme l'Accord de Cotonou dont l'article 34 stipule : "1. La coopération économique et commerciale vise à promouvoir l'intégration progressive et harmonieuse des États ACP dans l'économie mondiale… 2. Le but ultime de la coopération économique et commerciale est de permettre aux États ACP de participer pleinement au commerce international", et l'article 36 que "Eu égard aux objectifs et aux principes exposés ci-dessus, les parties conviennent de conclure de nouveaux accords commerciaux compatibles avec les règles de l'OMC".

ü     Qui plus est, le représentant de la Banque Mondiale à l'UE a déclaré dans un débat sur les APE à Bruxelles le 5 octobre 2005 : "Les droits de douane NPF des pays ACP doivent être abaissés, sinon il y aura détournement de trafic plaçant les exportateurs de l'UE en position de monopole. Les droits NPF devraient être graduellement réduits à 10%. On doit attendre des pertes de recettes budgétaires de 10 à 20%, nécessitant… la hausse de la TVA ou des droits d'accise, ou un tarif uniforme de par exemple 5%". Le FMI a a fortiori une position semblable : "Consolider les droits de douane appliqués à des niveaux proches des taux appliqués accroîtrait la crédibilité de la politique commerciale de l'Afrique"[30]. Donc pour la Banque Mondiale et le FMI les APE, loin d'autoriser les pays ACP à rehausser les droits de douane de leurs groupements régionaux comme les y autorisent les marges de leurs droits consolidés à l'OMC, doivent au contraire être un moyen de réduire le niveau de leurs droits NPF existants pour éviter un détournement de trafic au profit de l'UE. C'est une menace que les pays ACP n'ont pas suffisamment prise en compte dans leurs évaluations des effets des APE, compte tenu des pressions quasi insurmontables de la Banque Mondiale et du FMI.

ü     Par conséquent, pour ne pas être redondant avec l'article XXIV du GATT, la seule justification de l'alinéa c) du paragraphe 2 de la Clause d'habilitation est d'autoriser le maintien de préférences non réciproques entre les pays développés, notamment l'UE, et les unions douanières ou zones de libre-échange entre PED, notamment celles des pays ACP participant aux négociations d'APE avec l'UE. Cette interprétation satisfait d'ailleurs au double souci d'encourager à la fois une libéralisation des échanges au sein de groupements régionaux de PED tout en maintenant la non réciprocité de leurs échanges avec les pays développés.

ü     Malheureusement l'UE s'est arrangée – probablement pour ne pas rentrer dans le cadre de l'autorisation de la Clause d'habilitation inscrite au paragraphe 2 alinéa c) – pour que les 6 groupements régionaux de pays ACP négociant les APE comprennent tous des pays non PMA et des pays PMA et surtout qu'ils  ne correspondent pas à ceux constitués par leurs Etats membres :

§         L'APE entre l'UE et l'Afrique de l'Ouest déborde les 15 Etats membres de la CEDEAO (Bénin, Burkina Faso, Cap Vert, Côte d'Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée Bissau, Libéria, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo) puisque s'y ajoute la Mauritanie.

§         L'APE avec l'Afrique centrale déborde la CEMAC (Cameroun, République centrafricaine, Congo, Gabon, Guinée-Equatoriale, République démocratique du Congo, Tchad) puisque Sao Tomé & Principe n'en fait pas partie.

§         L'APE avec l'Afrique de l'Est et du Sud (ESA : Burundi, Comores, Djibouti, Erythrée, Ethiopie, Kenya, Madagascar, Malawi, Maurice, Rwanda, Seychelles, Soudan, Ouganda, Zambie, Zimbabwe) laisse de côté d'autres Etats membres du COMESA : Angola, République Démocratique du Congo, Egypte, Namibie, Swaziland.

§         L'APE avec l'Afrique australe (SADC : Angola, Botswana, Lesotho, Mozambique, Namibie, Swaziland, Tanzanie) n'intègre pas tous les Etats membres de la SADC qui comprend en outre le Malawi, l'Afrique du Sud, la Zambie et le Zimbabwe.

§         Cette configuration des deux APE d'Afrique de l'Est et Australe est très dommageable à l'EAC (East African Community) puisque la Tanzanie n'appartient pas au même APE que ses deux partenaires Kenya et Ouganda bien que l'EAC ait atteint un stade d'intégration régionale très avancé (avec notamment une assemblée parlementaire commune). Un autre problème est celui de l'Afrique du Sud, non partie prenante à un APE puisqu'elle a déjà un accord de libre-échange avec l'UE, mais qui est membre de la SACU (Southern African Customs Union, comprenant en outre le Botswana, le Lesotho, la Namibie et le Swaziland). Puisque la SACU a un tarif extérieur commun, ces 4 autres pays sont obligés de réduire leurs droits de douane sur les importations venant de l'UE en Afrique du Sud, ce qui pourrait faire baisser leurs recettes douanières de 21%[31].

§         L'APE du Forum des Caraïbes des pays ACP (CARIFORUM) regroupe les 15 Membres de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) plus la République Dominicaine et Haïti.

 

o        Ajoutons que le paragraphe 3.c de la Clause d'habilitation stipule que "3. Tout traitement différencié et plus favorable accordé au titre de la présente clause:… c) sera, s'il s'agit d'un traitement accordé aux pays en voie de développement par des parties contractantes développées, conçu et, si cela est nécessaire, modifié pour répondre de manière positive aux besoins du développement, des finances et du commerce des pays en voie de développement".  Et l'Organe d'Appel de l'OMC précise, dans l'affaire opposant l'Inde à l'UE sur son SPG :  "Lorsqu'ils accordent un tel traitement tarifaire différencié, toutefois, les pays donneurs de préférences sont tenus, en vertu de l'expression "sans discrimination", de faire en sorte qu'un traitement identique soit mis à la disposition de tous les bénéficiaires du SGP se trouvant dans une situation semblable, c'est-à-dire à tous les bénéficiaires du SGP qui ont "les besoins … du développement, des finances et du commerce" auxquels le traitement en question vise à répondre" (paragraphe 173). Nous allons voir plus bas que, dans l'APE d'Afrique de l'Ouest au moins, la situation économique des 3 PED non PMA n'est pas meilleure que celle des 13 PMA.

 

o        En outre pour Robert Howse, l'un des meilleurs spécialistes du droit de l'OMC, "L’Organe d’appel a suggéré que l’arbitre devrait rechercher un critère pour les besoins en matière de développement dans les traités de l’OMC, ainsi que dans d’autres instruments multilatéraux ayant trait au développement. Ceci implique un rôle supplémentaire attribué au droit non-OMC dans la formulation des normes ou des critères pertinents à l’application des accords de l’OMC"[32]. On devrait ainsi prendre en compte la mesure dans laquelle les Etats se sont rapprochés ou non des objectifs du Millénaire, et notamment de l'Objectif n°1 de réduire de moitié, de 1996 à 2015, le nombre de personnes souffrant de malnutrition chronique. Or, selon la FAO, "l'Afrique sub-Saharienne reste la région où l'insécurité alimentaire est la plus forte du monde. Le nombre absolu des personnes souffrant de sous-nutrition chronique a augmenté d'environ 22%, de 169 millions en 1990-92 à 206 millions en 2001-03"[33]. Or c'est l'ASS qui pèse de très loin le plus dans l'ensemble des 79 pays ACP, non seulement par le nombre de pays (48 pays, dont l'Afrique du Sud qui n'a qu'un statut partiel de pays ACP), mais aussi par le nombre de pays ACP au statut de PMA (34 sur 40) et surtout en termes de population totale des pays ACP (94%), moins relativement pour le PIB total (331 milliards de $ en 2004, sans l'Afrique du Sud avec 213 milliards de $, contre 529 milliards de $ pour les pays ACP en 2005) puisque les ACP d'ASS sont les plus pauvres.

 

o     Précisément, le préambule et l'article 16 de l'AsA placent sur le même plan les PMA et les PED importateurs nets de produits alimentaires (PEDINPA) : "Article 16 - 1. Les pays développés Membres prendront les mesures prévues dans le cadre de la Décision sur les mesures concernant les effets négatifs possibles du programme de réforme sur les pays les moins avancés et les pays en développement importateurs nets de produits alimentaires". Or, si la liste officielle des PEDINPA ne recense que 24 PED parmi lesquels d'ailleurs des pays à revenu moyen – dont Maurice (5260 $ par tête en 2005), Tunisie (2890 $), Venezuela (4810 $) –, la FAO recense 86 PEDINPA dans les seuls pays à bas revenu (définis comme inférieurs à 1450 $ par tête à la fin des années 90) l'ayant été dans les 3 années précédentes et acceptant d'être classés comme tels, parmi lesquels, pour l'Afrique de l'Ouest, la Côte d'Ivoire et le Nigeria[34].

 

o     Surtout, contrairement à l'article XXIV du GATT, l'article 5 de l'AGCS autorise une ouverture tarifaire non réciproque dans les accords régionaux Nord-Sud sur les services, ce qui prouve que ce n'est pas l'OMC dans son ensemble qui s'oppose à son maintien.

ü     "1. Le présent accord n'empêchera aucun des Membres d'être partie ou de participer à un accord libéralisant le commerce des services entre deux parties audit accord ou plus, à condition que cet accord : a) couvre un nombre substantiel de secteurs, et b) prévoit l'absence ou l'élimination pour l'essentiel de toute discrimination, au sens de l'article XVII, entre deux parties ou plus… 3. a) Dans les cas où des pays en développement sont parties à un accord du type visé au paragraphe 1, une certaine flexibilité leur sera ménagée pour ce qui est des conditions énoncées audit paragraphe, en particulier en ce qui concerne l'alinéa b) dudit paragraphe, en fonction de leur niveau de développement tant global que par secteur et sous‑secteur ".

ü     L'OCDE souligne la souplesse qu'il laisse aux PED : "L'Accord général sur le commerce de services (AGCS) codifie une approche de la libéralisation qui diffère de celle retenue dans les autres Accords de l'OMC. La structure même de l’accord – son approche progressive de la libéralisation - permet d’incorporer avec souplesse les objectifs de développement tout au long du texte. L'accès aux marchés et le traitement national sont des concessions négociées pour un secteur ou sous-secteur particulier de services sur la base d'engagements volontaires positifs, autorisant une libéralisation plus progressive des échanges et une certaine souplesse d'action dans les secteurs où les pays n'estiment pas pouvoir ou vouloir envisager une telle libéralisation. En d’autres termes, les Membres de l’OMC peuvent choisir les secteurs dans lesquels ils libéralisent leurs échanges (« listes positives ») et peuvent imposer des conditions et des limites à cette libéralisation, sous réserve que ces limites soient précisées (« listes négatives »). Certains pays en développement ont noté que la structure de l’AGCS en fait un accord plus « favorable au développement »"[35].  

 

o            Les Etats-Unis (EU) sont moins pointilleux vis-à-vis des règles de l'OMC puisqu'ils ont décidé le maintien de préférences commerciales unilatérales avec l'ASS jusqu'en 2015 dans le cadre de l'AGOA[36]. Ils ont déposé une demande de dérogation à l'OMC en février 2005. Des observations et des questions concernant la demande ont été formulées par la Chine, l'Inde, le Pakistan et le Brésil. L'octroi des dérogations a été examiné au Conseil du commerce des marchandises le 15 juillet 2005, aucune décision n'avait été prise en octobre 2005, ce qui n'inquiète pas les EU outre mesure.

o     On comprend d'autant mieux leur attitude que, selon l'aveu de l'OMC elle-même, "Le Comité des accords commerciaux régionaux a élaboré des procédures pour l'examen des accords, y compris en ce qui concerne la collecte de renseignements. Ces procédures servent à évaluer si chaque accord est compatible avec les dispositions de l'OMC. Toutefois, les Membres de l'OMC n'étant pas parvenus à un consensus sur la manière d'interpréter les critères d'évaluation de cette compatibilité, le Comité doit faire face à une accumulation de rapports en souffrance. En réalité, il n'y a eu consensus sur la compatibilité avec l'article 24 que dans un cas à ce jour: l'union douanière entre la République tchèque et la République slovaque après l'éclatement de la Tchécoslovaquie"[37]. Et ceci sur plus de 300 ACR notifiés au GATT et à l'OMC!

 

o    Cet aveu est explicité par des fonctionnaires de l'OMC : "Les règles existantes de l'OMC sont mal équipées pour traiter de la réalité des ACR [Accords commerciaux régionaix]. En pratique la tâche de vérifier la conformité des ACR notifiés au titre de l'article XXIV du GATT est confiée au Comité des Accords Commerciaux Régionaux (CACR). Cet organisme, cependant, a eu peu de succès jusqu'à présent en évaluant la conformité des ACR régionaux notifiés à l'OMC, du fait de diverses difficultés politiques et légales, la plupart héritées des années du GATT… Le CACR a aussi été incapable de mener effectivement à bien ses fonctions de suivi et de contrôle de la mise en œuvre des ACR"[38].

 

o     Il en résulte que, selon le South Centre, "L'inefficience du CACR et l'ambiguïté des règles ont conduit certains à suggérer qu'un Membre doit seulement notifier un ACR d'une façon appropriée soit avant ou après son entrée en application; et que, jusqu'à ce que les règles soient changées, il n'y pas un besoin imminent pour les membres des ACR de se préoccuper de leur conformité avec toutes les dispositions substantielles des accords de l'OMC[39]"[40].

 


[1] European Commission, Regional integration and Trade

http://www.europe-cares.org/africa/partnership_next_en.html

[3] http://www.ecb.int/press/key/date/2006/html/sp060331.fr.html

[4] Commission Economique pour l'Afrique, Déclaration finale de la réunion ad hoc du groupe d’experts sur les questions de commerce et de l’OMC en Afrique centrale, Pointe-Noire, 2004.

[5] Aissata Sobia, Revue de la littérature sur les études d'impacts de l'Accord de partenariat économique (APE) sur les économies des pays membres de la CEDEAO, CERES, Abidjan, 2005.

[6] Ministère de l'agriculture, de l'élevage et des eaux et forêts de la Guinée, Impact des mesures tarifaires sur l'agriculture et l'agro-alimentaire guinéens, Rapport final, 2005.   .

[7] P.C.I. International Consulting, Préparation d'un Accord de Partenariat Economique Union Européenne - Afrique de l'Ouest - Volume 1 : Diagnostics, Impacts et Recommandations pour le Burkina Faso, éd. Secrétariat ACP - Unité de Gestion des APE, Mars 2005, 126 p.

[8] PricewaterhouseCoopers et al., Sustainability Impact Assessment of the EU-ACP Economic Partnership Agreements, Phase Two, Final Report, 2005.

[9] Mamadou Cissokho, Discours au Congrès de la Coordination Rurale, Caen, 28 novembre 2002.

[10] J.-M. Boussard, F. Gérard & M.-G. Picketty, Libéraliser l'agriculture mondiale? Théories, modèles et réalités, CIRAD, 2005.

[11] Benoit Faucheux, Bénédicte Hermelin, Julieta Medina, Impacts de l'Accord de Partenariat Economique Afrique de l'Ouest, Note synthétique, GRET, Plateforme, République française, Décembre 2005, www.gret.org/ressource/pdf/07670.pdf.

[12] Jacques Gallezot, Les enjeux et les marges de manoeuvre de la CEDEAO face aux défis des négociations agricoles, ROPPA, juillet 2006.

[13] Jacques Gallezot, Pour un développement durable en Afrique de l'Ouest: la souveraineté alimentaire, ROPPA, Forum sur la souveraineté alimentaire, Niamey, 7-10 novembre 2006, http://www.roppa.info/IMG/pdf/Gallezot_-_Souverainte_alimentaire_et_developpement_durable.pdf

[14] Abdou, M. S. (Ministère du développement agricole de la République du Niger), Rapport de mission de l'Atelier régional sur l'Accord de partenariat économique CEDEAO – UE, Ouagadougou, 2005.

[15] Babacar Ndao, Impacts d’un APE sur l’Agriculture dans le cadre des négociations commerciales de l’Accord de Cotonou et de l’OMC, CESAG, 2004.

[16] ROPPA, Résolution finale de la 4è Convention ordinaire, St-Louis, Sénégal, 30 mars au 2 avril 2006, http://www.roppa.info/article.php3?id_article=52

[17] Accords de Partenariat Economique : les Agriculteurs vous parlent, 22-06-2006          

http://www.bilaterals.org/article.php3?id_article=5103

[18] Martin Khor, Trade: Leading Ministers of ACP states criticize EPA process,
SUNS #6122 Wednesday 18 October 2006.

[19] Malick Ndaw, Accords de libre-échange entre l'Union européenne et l'Afrique de l'Ouest : les organisations de la société civile avertissent, Sud-Quotidien, 27-09-06, http://www.bilaterals.org/article.php3?id_article=6252

[20] Commission européenne, Les aspects relatifs au commerce et au développement dans les négociations relatives aux APE, Octobre 2005.

[21] www.dti.gov.uk/files/file9845.pdf

[22] Jean-Claude Lefort, Rapport d'information sur la négociation des accords de partenariat économique avec les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, Assemblée Nationale, 5 juillet 2006

http://www.assemblee-nationale.fr/12/europe/rap-info/i3251.asp#TopOfPage                    

[23] Communication du Groupe des États ACP, Les aspects des Accords commerciaux régionaux relatifs au développement et le traitement spécial et différencié dans les règles de l'OMC: l'article XXIV du GATT de 1994 et la Clause d'habilitation, 28 avril 2004, TN.RL/W/155

[24] WTO Report of the Appellate Body, United States - Standards for Reformulated and Conventional Gasoline, WT/DS2/AB/R, 29 April 1996 (96-1597).

[25] http://www.fao.org/tc/Tca/pubs/TMAP41/41chap7.htm

[26] http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/enabling1979_f.htm

[27] FAO, The implications of the Uruguay Round Agreement on Agriculture for Developing Countries. Chapter 7: Regionalism and the Agreement on Agriculture, http://www.fao.org/docrep/004/w7814e/W7814E11.htm

[28] http://www.wto.org/french/news_f/news06_f/rta_july06_f.htm

[29] Organe d'appel de l'OMC, Communautés européennes, Conditions d'octroi de préférences tarifaires aux pays en développement, 7 avril 2004 (WT/DS246/AB/R).

[30] IMF, Regional economic outlook, Sub-Saharan Africa, May 2005. http://www.imf.org/external/pubs/ft/AFR/REO/2005/eng/01/SSAREO.htm

[31] Oxfam, Unequal partners: how EU-ACP Economic Partnership Agreements (EPAs) could harm the developments prospects of many of the world's poorest countries, Oxfam briefing note, September 2006.

[32] Robert Howse, Appellate Body ruling saves the GSP, at least for now, ICTSD, Bridges, April 2004.

[33] FAO, Mid-term review of achieving the world food summit target, Committee on world food security, Rome, EO October – 4 November 2006.

[34] Ulrike Grote & Peter Wobst, What do liberalized agricultural markets mean for food importing developing countries? 2004, http://www.rural-development.de/fileadmin/rural-development/volltexte/2006/01/en/ELR_engl_18-21.pdf

[35] OCDE, Le rôle du "Traitement spécial et différencié" à l'interface des échanges, de la concurrence et du développement, Groupe conjoint sur les échanges et la concurrence, 7 mai 2002.

[36] OMC, Organe d'examen des politiques commerciales, Rapport du Secrétariat, Etats-Unis, Partie 3, http://docsonline.wto.org/GEN_searchResult.asp

[37] OMC, Règles : Accords commerciaux régionaux, pierres angulaires ou pierres d'achoppement?

http://www.wto.org/French/thewto_f/minist_f/min05_f/brief_f/brief09_f.htm

[38] Jo-Ann Crawford and Roberto V. Fiorentino, The changing landscape of Regional Trade Agreements, WTO, Discussion Paper n°8,

[39] For example, Wang, J. (2004) “China’s Regional Trade Agreements: The Law, Geopolitics, and Impact on the Multilateral Trading System”, 8 Singapore Yearbook of International Law, pp. 119-147, at 138.

[40] South Centre, Revisiting EPAs and WTO compatibility, July 2005, SC/TADP/AN/DS/2

http://www.southcentre.org/publications/AnalyticalNotes/Other/2005Jul_EPA_WTO.pdf


 
FaLang translation system by Faboba