Kivu : Un paysan comme président !

Nous vous proposons aujourd'hui un extrait d'un interview de Simizi Nzala, Président national du Syndicat d'alliance paysanne (S.A.P.)réalisé par Aloys Tegera, directeur du "Pole Institue" à Goma en R.D.C. Cet article a été publié dans leur revue trimestrielle "Regards Croisés" et repris par la Revue Grain de Sel (n°22 de Janvier 2003) en lien avec Défis Sud de SOS Faim.

( www.sosfaim.be - www.defis-sud.info )

Quel rôle le S.A.P. joue-t-il dans un pays déchiré par la guerre comme le Congo ?

SN : Moi, en tant que paysan, j'affirme que ce sont les intellectuels qui ont apporté la guerre et le tribalisme. J'ai quitté Lubero pour venir ici en 1953. Nous avons toujours vécu en parfaite harmonie avec les populations locales : nos enfants n'ont jamais rencontré de problème. Chez eux, c'est ici. Les paysans de la région ont toujours été solidaires. Voilà pourquoi je dis que la crise n'est pas partie de la base, mais des intellectuels.

Je n’ai pas suivi l’école, mais j’ai ma propre instruction. Je suis docteur en affaires paysannes ! Et je sais que la politique se résume en deux mots : le pays  et  le  propriétaire  du  pays,  soit  les  mots "  pays  " et "  paysan  ". Voilà en quoi consiste la politique  d’un  pays.  Le  paysan  gère  la  terre  et engendre  l’intellectuel.  Pourtant,  aujourd’hui,  la société pourrait se résumer à un triangle. Les trois angles   sont   respectivement   occupés   par   les parents,  la  jeunesse  et  les  intellectuels.  Ces  der- niers  sont  au  sommet  et  écrasent  les  deux  autres composantes. Une fois en haut de l’échelle, après les études, l’intellectuel oublie les parents et négli- ge la jeunesse. Si l’on se souciait vraiment de ce pays, on saurait que les intellectuels ont déjà échoué et ne savent que faire la guerre. Et on irait chercher un paysan pour   le   nommer   Président   de   la   République. Aujourd’hui, si j’étais à la tête de ce pays, je n’am- bitionnerais  pas  de  posséder  un  avion  ou  de  me construire un building. Je commencerais par bâtir des écoles, des routes, des hôpitaux, par renforcer l’économie  et  la  monnaie...  Il  faut  un  paysan comme  Président  de  cette  République  pour  qu’il s’occupe des problèmes réels de ce pays. Et si ce paysan quittait le pouvoir, croyez-vous qu’il pen- serait à aller aux Etats-Unis s’acheter une résiden- ce ? Non, il reviendrait chez lui, s’occuper de ses chèvres,  comme  je  m’occupe  moi-même  de  mes deux chèvres, ici, chez moi.

Si l’on examine ce triangle, on voit que cet intellectuel que vous avez placé au sommet devient inefficace. Mais celui qui trône au sommet développera des stratégies pour y demeurer. Que peut faire la base pour le rame- ner vers elle ou pour dégager d’autres voies pour survivre  ?

SN  : C’est la raison pour laquelle nous avions initié  le  syndicat  de  paysans.  Nous  sommes  nombreux,  mais  tous  les  paysans  ne  disposent  pas d’une  bonne  capacité  d’analyse.  Or  le  triangle devrait se renverser : les parents et la jeunesse, à son sommet, et les intellectuels à sa base. Il faut que l’intellectuel supporte le poids de ceux qui ont payé sa scolarité, qu’il les défende. Ce n’est mal- heureusement pas le cas.

n Propos recueillis par Aloys Tegera, directeur de Pole Institute à Goma

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