Ne les écoutez pas, regardez plutôt ce qu'ils font !

Voici pour commencer, la chronique des matières premières, du 05/04/2004, sur RFI, de Jean-Pierre Boris.

Coton: surprenantes estimations américaines

Méfiez-vous des chiffres, ils ne veulent souvent pas dire grand chose. Le ministère américain de l'Agriculture a ainsi publié la semaine dernière ses estimations de surfaces ensemencées en soja, maïs, blé, coton pour la prochaine récolte, celle de l'été. «L'addition de tous ces hectares est probablement supérieure à ce que les Américains ont comme terres agricoles» estime un trader, en plaisantant à moitié. Cet excès s'explique par l'optimisme ambiant. Les prix du soja et du maïs en particulier sont très élevés. On peut donc s'attendre à ce que les agriculteurs américains en sèment beaucoup.

Les cours du coton, eux, même s'ils ont progressé l'an dernier sont nettement moins rémunérateurs. Pourtant, l'administration américaine table sur une augmentation de 7% des surfaces qui y seraient consacrées. C'est d'autant plus surprenant que l'industrie textile américaine est quasiment en voie de disparition. Sur la saison 2003-2004, les Américains ont consommé moins du tiers du coton qu'ils ont produit. Jusqu'à présent, ils ont exporté plus de 70% de leur récolte. Un coton très largement subventionné qui part à bon marché vers les filatures asiatiques où il est transformé pour une bouchée de pain avant d'être réexporté sous forme de produit fini vers les Etats-Unis. Alors, puisque les Américains, deuxièmes producteurs de coton au monde derrière la Chine ne produisent quasiment plus que pour les marchés extérieurs, il faut qu'ils puissent exporter. Pour cela, des cours relativement faibles sur la bourse de New York sont d'une aide précieuse. Cela permet aux clients, en particulier aux Chinois, d'acheter à bas prix. La semaine dernière, ceux-ci ont reçu un coup de pouce. Les prix du coton ont baissé après la publication des estimations d'ensemencement de l'administration agricole américaine. Des estimations auxquelles personne ne croît. Méfiez-vous des chiffres.

Voici le commentaire que m'inspire cette chronique.

En novembre 2001, les producteurs de coton africain, se sentant menacés, ont lancé un appel pour la suppression des subventions des Etats-Unis et de l'Union Européenne à leurs propres producteurs de coton. Quelques mois après, avec la nouvelle Farm Bill, les subventions américaines à l'agriculture ont été sérieusement augmentées. Les producteurs de coton américains en profiteront comme les autres. Un bel exemple du protectionnisme des pays riches. Ces mêmes pays qui demandent aux pays les plus pauvres de supprimer le peu de protection de leurs agriculteurs qu'ils ont réussis à conserver.

Depuis avril 2003, (et tout spécialement en septembre 2003 à Cancun), quatre pays africains (le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Tchad) ont soumis, aux négociations en cours à l'O.M.C, une initiative en faveur du coton africain, demandant la suppression de ces subventions. L'objectif étant la remontée du cours mondial du coton. Ces quatre pays africains ont reçu l'appui du monde entier, exceptés les pays les plus concernés : les Etats-Unis et l'Union Européenne. Alors que les négociations se poursuivent difficilement, voici à nouveau une initiative américaine qui a pour conséquence de faire chuter les cours.

C'est à la lumière de ces deux initiatives américaines qu'il faut juger l'aide américaine aux populations africaines, et leurs conseils pour lutter contre la pauvreté (et plus largement des pays riches !). Il est grand temps que les gouvernements africains jugent par eux-mêmes de ce qui est bon pour leurs populations. Il est grand temps, également, que les organisations paysannes se fassent entendre, et fassent connaître leur point de vue.

Alors, on peut espérer que les gouvernements africains découvriront que ce qui est bon pour les agriculteurs des pays riches (comme les Etats-Unis et l'Union Européenne), est également bon pour leurs paysans. Les pays riches ne veulent pas supprimer leur appui à leurs agriculteurs. Que les pays pauvres comprennent que leurs agriculteurs ne pourront pas s'en sortir sans appui. Ces pays pauvres n'ont pas les moyens de subventionner leurs agriculteurs. Qu'ils n'aient pas peur de protéger leurs agriculteurs par des taxes à l'importation. Ils n'ont pas, le plus souvent, le moyen de peser sur le marché mondial, qu'ils aient la sagesse de protéger leur marché intérieur.

La protection à l'importation des produits agroalimentaires, loin d'être une horreur économique, comme voudrait nous le faire croire les puissants de la planète, est une nécessité pour la sécurité alimentaire des plus pauvres, comme pour l'équilibre social de la planète.

Koudougou, le 10 avril 2004.
Maurice Oudet

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