En marge du Forum social mondial de Bamako :

le bien-fondé du prélèvement compensatoire

(taxe de compensation des subventions)

J'ai été frappé en circulant dans la ville de Bamako par le nombre important de publicités en faveur de la consommation de lait ou de produits laitiers. J'ai cherché à savoir ce qui se cachait sous les différentes marques qui s'étalaient sur les tableaux publicitaires. Je n'ai trouvé que des produits laitiers fabriqué à partir de lait en poudre exporté par l'Union Européenne.

Auparavant, sur la route, en venant du Burkina Faso, nous nous sommes arrêtés pour visiter deux laiteries. La première à Sikasso. Nous avons demandé l'autorisation de visiter la laiterie qui annonçait des produits laitiers "au lait pur de vache". La visite nous a été refusé sous prétexte qu'à l'heure où nous nous sommes présentés, il n'y avait pas de lait à transformer. Après quelques minutes de conversation, le gérant nous a avoué qu'il ne transformait, en ce mois de janvier, que du lait en poudre importé. La laiterie avait été mise en place pour transformer le lait produit localement. Mais pour des raisons financières, ils avaient abandonné le lait local au profit du lait en poudre importé venu d'Europe. Le problème est simple : en janvier la production locale est en forte diminution et donc le prix du lait frais augmente. Il faut compter 300 F pour acheter un litre de lait frais alors qu'avec 200 F on peut acheter suffisamment de poudre de lait importé pour reconstituer un litre de lait...

Nous avons poursuivi notre route jusqu'à Koumantou où nous sommes tombé sur une très belle laiterie remise à neuf. Nous avons été très bien accueilli. Nous avons pu visiter les différentes salles. Pendant notre visite, nous avons vu, par deux fois, de jeunes éleveurs livrer du lait frais. L'un deux était en moto, l'autre en vélo. En échangeant avec le responsable nous avons essayé de comprendre pourquoi leur laiterie continuait à pouvoir se fournir en lait local alors que d'autres avaient du abandonner. Nous avons compris que la laiterie fonctionnait sur le mode d'une coopérative dont les groupements d'éleveurs des environs étaient membres. C'est dire qu'un important travail en amont de la laiterie proprement dite avait été réalisé pour que tous les bénéficiaires se sentent partie prenante. Nous avons deviné également que les membres de la laiterie - producteurs et transformateurs - devaient se contenter de gains faibles puisque sur place, la laiterie cédait son lait pasteurisé à 300 F le litre.

Et voilà qu'au retour de Bamako, je reçois deux documents.

Le premier est une étude très détaillé intitulée :


Le dumping total des produits laitiers de l'Union européenne de 1996 à 2002
par Jacques Berthelot, de Solidarité (http://solidarite.asso.fr) du 2 février 2006. L'étude montre que pour 2006 le dumping total des produits laitiers de l'Union Européenne sera de l'ordre de 38 %.

Le second rend compte du memorandum présenté par la commission de l'agriculture de la CEDEAO à la rencontre des chefs d'Etats du 12/01/2006. Ce document propose de protéger davantage certaines productions agricoles (jusqu'à 50 %, alors qu'à l'intérieur de l'UEMOA le maximum est actuellement de 20 %). Il propose également de mettre en place trois mécanismes complémentaires.

1. Un mécanisme de sauvegarde pour l'agriculture.

2. Une taxe dégressive de protection.

3. Un prélèvement compensatoire.

Ce dernier est destiné à neutraliser les effets de concurrence déloyale induits par les subventions des pays exportateurs.

C'est ce mécanisme qui nous intéresse ici. Voyons ce que cela entraînerait s'il était appliqué au lait en poudre importé de l'Europe. Faisons l'hypothèse que ces subventions sont répercutées intégralement sur les prix de vente. Un produit qui, sans subvention, aurait été vendu 100 F à l'exportation, sera vendu 62 F (grâce au dumping de 38 %). On va donc lui appliquer un prélèvement de 61 %, pour effacer ce dumping. Il "retrouve" ainsi sa valeur réelle : 100 F. Sur ces 100 F, nous pouvons maintenant appliquer les droits de douane ordinaires de l'ordre de 5 à 20 % actuellement (à l'intérieur de l'UEMOA).

En appliquant un tel mécanisme au lait en poudre, le prix d'un litre de lait reconstitué passerait de 200 F à 380 F. Le lait local serait à nouveau concurrentiel. Tout ou partie de ce prélèvement pourrait être orienté vers le développement de la filière lait. Cela permettrait, notamment, d'accompagner les éleveurs (en amont des laiteries) pour mettre en place un réseau de distribution d'aliments pour bétail... Et en quelques années la production de lait, encore faible, pourrait croître rapidement.

Koudougou, le 12 février 2006
Maurice Oudet

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