Interview de M. Gil Ducommun

Aujourd’hui, nous vous proposons une interview de M. Gil Ducommun, professeur à la Haute école d'agronomie de Zollikofen, en Suisse. Cette interview est parue dans l’AGRI, l’hebdomadaire professionnel agricole de la Suisse Romande (www.agrihebdo.ch). En 2003 et 2004, M. Gil Ducommun est venu plusieurs fois au Burkina : il dirigeait alors des travaux de recherche sur les exploitations familiales agricoles du Burkina. Nous avons rendu compte de ces travaux dans l’abcBurkina N°85 : « L’exploitation paysanne familiale : moteur du développement »

«Agri»: La souveraineté alimentaire et le commerce équitable sont-ils à vos yeux des concepts qui ont une chance de percer ?

G. D.: Oui. La souveraineté alimentaire passe par une réduction des échanges commerciaux des produits agricoles de base. C'est insensé de transporter des milliers de tonnes de céréales d'un continent à l'autre ou d'exporter de la poudre de lait dans la zone soudano-sahélienne très propice à l'élevage. Par contre, que l'Europe importe des ananas, que la France exporte son vin ou la Suisse son gruyère, n'est pas très problématique si les frais du transport incluent les coûts écologiques. L'exportation de produits de niche à forte valeur ajoutée ne remet pas en cause la souveraineté alimentaire.

La mise en oeuvre de cette souveraineté passe par des échanges équitables. Est équitable une marchandise produite dans le respect des travailleurs et de l'environnement.

 

«Agri»: Quelle est votre analyse des échecs à répétition de l'OMC ?

G. D.: C'est parce que les pays dominants refusent cette équité et le respect des intérêts de chacun que l'OMC accumule les échecs. Une position néolibérale domine à l'OMC. Elle ignore les concepts de durabilité et d'équité et privilégie les intérêts économiques des grands exportateurs agricoles. L'OMC n'a aucun volet d'action dans les domaines durabilité et équité, les pays dominants l'ayant refusé.

Fort heureusement, les négociations n'aboutissent pas, car l'opposition est trop forte. Cela étant, un organisme comme l'OMC est indispensable. Le monde est en train de prendre conscience de la nécessité d'intégrer d'autres critères dans les négociations et l'OMC pourra en être l'instrument. Dans un futur avenir, il serait souhaitable que des pays exportateurs puissent être pénalisés si les marchandises qu'ils exportent sont produites sans respecter des critères de durabilité écologique et sociale.

 

«Agri»: Une politique agricole internationale intégrant la multifonctionnalité, la souveraineté alimentaire, la durabilité sociale et le commerce équitable est-elle une utopie ?

G. D.: Les utopies d'aujourd'hui sont les réalités de demain. Les 70% des paysans du monde travaillent le sol à la main, cultivant moins d'un hectare par travailleur (UT), 27% utilisent la traction animale et cultivent 2 à 4 hectares par UT et 3% ont recours à la mécanisation pour cultiver 10 à 200 hectares par UT. A la lumière de ces chiffres, on comprend qu'il n'est pas raisonnable de mettre ces agriculteurs en compétition. La mise en concurrence totale serait insupportable pour l'agriculture suisse et elle est catastrophique à l'échelle mondiale. Les baisses de prix qu'elle engendre déclenchent un exode rural massif, une urbanisation incontrôlée et des mouvements migratoires planétaires.

L'USP et la Suisse devraient chercher des alliances plus fortes avec les nombreux pays en développement dont l'agriculture a des intérêts communs avec les agriculteurs suisses.

«Agri»: Peut-on appliquer à l'agriculture le principe de la libre-concurrence et des lois du marché ?

G. D.: Comme instrument de régulation, elles ne sont applicables uniformément ni à l'agriculture ni à aucun autre secteur économique. Appliquées comme mesures uniques de régulation, elles induisent un dumping social et environnemental aux conséquences inacceptables. La politique agricole de quel pays que ce soit a aussi pour but le maintien du patrimoine rural, la conservation des compétences de production, des savoir-faire, du tissu social et des espaces de récréation. Ces objectifs ne pourront être atteints que si les règles d'échange le permettent.

Une pression unilatérale sur les prix en vue d'abaisser les coûts de production par rationalisation économique n'est pas un objectif valable. La rationalisation économique a des limites imposées par les objectifs supérieurs de durabilité et de qualité de vie de tous.

 

AbcBurkina : Il y a quelques semaines, nous avons repris le plaidoyer des producteurs de lait du Canada en faveur de la souveraineté alimentaire pour leur pays et pour le monde. Aujourd’hui, cette interview vient de Suisse. Je suis sûr que les paysans burkinabè qui liront ces lignes se retrouveront dans cette vision d’une politique agricole durable. Elle rejoint notamment la vision de l’agriculture de la Confédération Paysanne du Faso. Merci à M. Gil Ducommun pour nous avoir partagé simplement sa vision d’une politique agricole durable.

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