Il y a quelques jours, me rendant à Bobo-Dioulasso, je me suis arrêté à Boni, petit village situé entre Pa et Houndé. J’ai été saluer le catéchiste. Surprise : sa cour était devenue une pépinière de pourghère (jatropha curcas).

Mais peut-être que ces appellations ne vous disent rien. En moore, la plante est appelée wãb-n-bang-ma, et bagani en jula. Cela ne vous dit toujours rien ? Ce n’est pas bien grave. Dans quelques années vous ne pourrez pas ignorer cette plante. Elle est appelée à se répandre à travers tout le Burkina, pour le bonheur ou le malheur de ses paysans, selon que ces derniers resteront maîtres de cette évolution, ou qu’au contraire ils se laisseront déposséder de leurs terres par de plus puissants.

Le pourghère est un arbuste de 3 ou 4 m de haut, originaire du Brésil. Sa culture a été introduite en Afrique au XV° siècle. La graine renferme une amande qui donne de l’huile, mais dangereuse car violemment purgative ; elle est à la base d’intoxications d’enfants (cf. Makido Ouédraogo dans le quotidien burkinabè Le Pays du 6 octobre 2005).

Renseignements pris, j’apprends qu’un projet de culture industrielle de pourghère est en train de s’implanter à Boni. Ce projet est soutenu par le maire et le délégué du village. Pas étonnant que les paysans l’aient accueilli favorablement.

Le pourghère a plusieurs avantages pour un village qui peut en exploiter les graines pour leurs multiples usages. Le pourghère peut être utilisé pour plusieurs applications :

  • Huile de pourghère et ses sous produits
  • Carburant
  • Savon
  • Insecticide
  • Engrais organique
  • Haies de pourghère
  • Protection des cultures contre le bétail
  • Protection contre l’érosion et désertification
  • Possibilité d’utiliser des surfaces non cultivables

(cf. http://www.ptfm.net/spip.php?article117 )

Mon inquiétude vient de la façon dont le projet de culture de pourghère cherche à s’implanter à Boni. L’approche n’est pas participative. Les responsables n’ont pas pris le temps d’expliquer l’intérêt mais aussi les limites de la culture du pourghère. Les villageois ont déjà offert un terrain boisé de 60 à 70 hectares aux promoteurs du projet, sans contrepartie pour la population. Pourtant, les responsables du projet ont déjà prévu d’abattre tous les arbres de ce terrain. Où iront les femmes qui partaient régulièrement se ravitailler en bois de chauffe dans ce secteur ? Va-t-on sacrifier « le bois de chauffe », l’énergie du pauvre, au profit de l’huile de pourghère, pour alimenter les 4x4 des plus riches ?

Le projet offre gratuitement des graines de Jatropha aux paysans qui acceptent de consacrer quelques hectares à cette nouvelle culture. Ainsi, si vous vous proposez de consacrer 2, 3 ou 5 hectares à la culture du pourghère vous recevrez les graines nécessaires. A vous maintenant de réussir votre pépinière et vos plantations. Déjà les paysans de Boni ont proposé de consacrer 2 000 hectares à cette nouvelle spéculation, dès 2008. J’ai voulu savoir quel genre de terre accueillerait les plants de pourghère. J’ai interrogé quelques paysans à ce sujet. Je n’ai pas obtenu de réponse claire. Ce qui laisse prévoir que des champs sur lesquels le maïs était cultivé en alternance avec le coton risquent bien d’être consacrés au pourghère, et cela pour 50 ans (période pendant laquelle cet arbuste est productif). Et cela, alors que l’huile de coton est consommable, et que de plus elle est un aussi bon carburant que l’huile de pourghère, et au moment où le maïs devient une denrée rare au niveau mondial.

Aucun des paysans interrogés n’a été capable de me dire quelle quantité de graines de pourghère il espérait récolter à l’hectare, ni à quel prix l’usine allait leur payer ces graines. Les paysans n’ont même pas pensé à négocier quelques presses pour extraire eux-mêmes une partie de leurs récoltes et ne pas dépendre totalement des prix qu’offriront bientôt les promoteurs du projet.

En quittant Boni, je me suis dit qu’il était grand temps pour les agriculteurs du Burkina (par exemple au niveau de la Confédération Paysanne du Faso) d’entreprendre une réflexion sur les bienfaits, mais aussi sur les dangers de la culture du pourghère et d’envisager la publication d’un petit guide à l’attention des groupements villageois qui voudraient se lancer dans la production de graines de pourghère.

Déjà, je crois qu’il est permis de dire que tant que l’on se limitera à certaines applications (mise en valeur de terres non cultivables, haies vives pour clôturer les champs et se protéger des animaux, plantation en courbe de niveau pour lutter contre l’érosion... ) les paysans seront gagnants. Tant que les paysans utiliseront les graines de pourghères pour leurs propres besoins (alimentation en carburants des moulins, voire des tracteurs, fabrication de savon ou d’insecticide), ils seront gagnants. Mais alors, ils doivent s’équiper de presses pour extraire eux-mêmes l’huile dont ils ont besoin.

Quant à la rentabilité économique de la production d’huile de pourghère à grande échelle, elle n’est pas évidente pour les investisseurs, encore moins pour les paysans qui risquent de se retrouver rapidement très dépendants et réduits au statut d’ouvriers agricoles.

 

Le 29/10/2007
Maurice Oudet
Président du SEDELAN (Service d’Edition en Langues Nationales)
Koudougou

 

FaLang translation system by Faboba