Qui osera interdire à la CEDEAO de protéger son agriculture?

Dans les mois qui suivent la CEDEAO va prendre des décisions qui vont engager l'avenir de ses populations pour longtemps. Il est absolument nécessaire que dans chaque pays, chaque citoyen en soit informé et que des débats s'instaurent. En effet, la CEDEAO est engagée dans des négociations avec l'Union Européenne qui pourraient aboutir à un Accord de Partenariat Economique (APE). Mais cela l'oblige à définir un TEC (voir plus loin) et une liste de produits sensibles destinés à être exclus de la libéralisation que prépare cet APE.

La CEDEAO regroupe 15 pays, dont 8 appartiennent à l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Tous ces pays veulent former un marché commun. C'est-à-dire une zone où les hommes et les marchandises circulent librement, où ils ont une protection commune contre les importations du reste du monde et où ils se dotent de politiques communes, notamment une politique agricole commune (ECOWAP). C'est un travail important, qui demande une collaboration de tous. Parmi les questions à résoudre, il y a la façon dont cette zone va faire du commerce avec le reste du monde. Tous les pays du monde se protègent de différentes façons en instaurant, entre autres, des taxes à l'importation. Le plus souvent ces taxes sont fixes. On parle alors de droits de douane, et même (les spécialistes !) de droits de douane ad valorem, calculés en % de la valeur de la marchandise au point d'importation (port, aéroport, frontière terrestre). Chaque pays (ou ensemble de pays comme l'UEMOA et la CEDEAO) définit donc le taux qui sera appliqué pour chaque produit susceptible d'être importé. L'ensemble de ces taux est appelé le Tarif Extérieur Commun (TEC). Souvent, pour simplifier, les produits sont classés à l'intérieur d'un petit nombre de catégories de taux. C'est ainsi qu'en l'an 2000 les pays d'Afrique de l'Ouest qui avaient en commun le Franc CFA ont décidé de s'unir et d'adopter un Tarif  Extérieur Commun applicable à toutes les importations. Ces pays ont classé les produits en 4 catégories avec respectivement des  Droits de Douane de 0 %, 5 %, 10 % et 20 %. C'est ainsi que le riz a été taxé à 10 %, et le  lait en poudre à 5 %. Cela devant permettre de nourrir les populations urbaines au moindre coût.

Dans un premier temps, en effet, les populations se sont tournées massivement vers le riz importé. Souvent du vieux riz de mauvaise qualité. Sans doute les familles pauvres ont-elles pu préparer du riz (appelé « denkakia » en jula – c'est-à-dire « famille nombreuse ») une ou deux fois par semaine. Mais à quel prix pour la santé des enfants ? Il s'agit de riz qui gonfle à la cuisson, donc avec de l'eau. On pourrait aussi l'appeler « Trompe la faim ». Mais à quel prix aussi quant à l'avenir des producteurs de riz ? En 2004, les magasins des producteurs de riz du Sourou étaient pleins, le riz ne trouvant pas preneur à un prix rémunérateur pour les paysans. Ces derniers ont fini par abandonner la culture du riz, et ce qui devait arriver arriva.

En 2008, le prix du riz a flambé sur le marché mondial. Et la production nationale était au plus bas. Quelle fut la réponse du gouvernement ? Il a supprimé les droits de douane à l'importation sur le riz pour une durée de trois mois. Il a donc introduit, sans le dire, des prélèvements variables, que nous appellerons ici des taxes à l'importation variables. Sans grand résultat, car dans la hâte et l'improvisation.

Le TEC de l'UEMOA s'est donc révélé inadapté. Pendant quelques années, les droits de douane sur le riz se sont révélés trop faibles. Puis en 2008, avec la crise alimentaire, ces mêmes droits de douanes se sont révélés trop élevés, à tel point que le gouvernement burkinabè les a supprimés temporairement. Or, en un premier temps, la CEDEAO a semblé vouloir adopter le TEC de l'UEMOA. Heureusement, elle s'est donnée quelque temps de réflexion.

Aujourd'hui, les très fortes variations des produits agricoles et de la parité FCFA / Dollar, fragilisent l’agriculture de la CEDEAO. Elles ne permettent pas aux agriculteurs d’investir en toute sécurité.

De plus, maintenant que les prix mondiaux ont déjà baissé assez fortement et qu'il est probable qu'ils continuent à baisser, compte tenu de la crise mondiale, les Etats de la CEDEAO qui ont réduit ou supprimé les Droits de douanes fixes sont bien plus réticents à les relever vis-à-vis de consommateurs appauvris, ce qui réduit la confiance des agriculteurs pour augmenter leur production.

Il est donc urgent de tirer profit de l'expérience du TEC de l'UEMOA (qui, répétons le, s'est révélé inadapté) et de reconnaître la nécessité de mettre l'agriculture de l'Afrique de l'Ouest à l'abri de la trop grande volatilité des cours mondiaux des marchandises et du dollar.

La CEDEAO pourrait informer l'OMC et ses principaux partenaires qu'elle a l'intention d'adopter, pour le marché commun qu'elle veut créer entre ses Etats membres et la Mauritanie, l'ensemble des règles commerciales suivantes (qui forment un tout) :

La CEDEAO consolide son TEC à 150 % pour les produits agricoles. Cette expression consacrée veut dire que la CEDEAO se réserve le droit, si nécessaire, de relever ses droits de douane appliqués jusqu'à un plafond de 150 % (qu'elle s'engage également à ne pas dépasser). Ce taux de 150 % ne devrait pas faire problème à l'OMC car c'est le taux actuel de nombreux pays de la CEDEAO dont le Nigeria qui représente plus de 50 % de la population.

  1. Ensuite la CEDEAO va déterminer une liste de produits agricoles et/ou alimentaires (par exemple le riz et la poudre de lait entier) sur lesquels elle va instaurer des taxes variables qui seront toujours inférieures au taux consolidé de 150 %.
  2. Prenons l'exemple du riz. La CEDEAO va définir les prix de production moyens de la tonne de riz par ses propres producteurs. A partir de là elle détermine un prix d'entrée de sorte que si on importe du riz à ce prix, il arrive sur le marché de la CEDEAO légèrement plus cher que le riz local. Quand le prix sur le marché mondial est plus bas, le riz importé est taxé (d'une taxe qui varie selon les cours du marché mondial. Le prix de la taxe est donné par l'équation : taxe + prix du marché mondial = prix d'entrée.
    Le prix d'entrée est calculé de sorte qu'il assure des revenus aux producteurs et qu'il ne soit pas trop cher pour les consommateurs urbains. Quand le prix du marché est supérieur au prix d'entrée, il n'y a pas de taxe à l'importation.
  3. Cela ne remet pas en cause la nécessité d'ajouter une 5° bande tarifaire de droits de douane fixes à 50, 65 ou 80 % pour des produits non agricoles ou pour certains produits agricoles moins sensibles. On peut penser aussi que le passage de droits de douanes fixes à des taux variables se fasse progressivement.

Reste une question. Et de taille ! Cette façon de protéger l'agriculture peut-elle être acceptée par l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et par les partenaires de la CEDEAO. Notre réponse est « oui ». Même si ces taxes variables (appelées « Prélèvements Variables ») sont mal vues à l'OMC, il existe de bons arguments pour les faire reconnaître. C'est le moment de se rappeler qu'il est prévu un traitement spécial et différencié pour les Pays en développement, et tout spécialement pour les Pays Moins Avancés (PMA).

De plus le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 stipule (article 1) que : "Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes… Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles… En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance". Et l'article 11 précise que "Les Etats parties au présent Pacte, reconnaissant le droit fondamental qu'a toute personne d'être à l'abri de la faim, adopteront, individuellement et au moyen de la coopération internationale, les mesures nécessaires".

Notons également qu'en Mai 2008 le Réseau de Prévention des Crises Alimentaires du CILSS (Comité Permanent Inter-Etats de Lutte Contre la Sécheresse dans le Sahel) soulignait : "La préoccupation qui demeure est de savoir si des dispositions ou mécanismes sont également envisagées pour faire face à un éventuel effondrement des prix dans les années à venir. Une telle situation de «prix non rémunérateurs» pour les producteurs pourrait compromettre la sécurité alimentaire et les moyens d’existence des exploitants familiaux agricoles, fournissant l’essentiel des vivres de la région".

Qui osera interdire à la CEDEAO de protéger son agriculture par des taxes à l'importation variables, et condamner ses populations à la misère, à la faim et aux violences urbaines ?

Koudougou, le 5 octobre 2008
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

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