«Nos enfants cultiveront-ils les mêmes terres que nous ? »

La semaine dernière, dans le n° 315 intitulé « Démographie et conflits fonciers » nous vous avons parlé d'un conflit foncier familial, où le fils ainé avait accaparé toutes les terres laissées par son père. La raison en était que son père n'avait pas laissé assez de bonnes terres pour faire vivre sa famille et celles de ses frères. Trop de terres étaient fatiguées. Je voudrais aujourd'hui revenir sur cet aspect. En effet, l'espace diminuant sous la pression démographique, il est urgent d'adopter des méthodes de culture durables si on ne veut pas que le problème foncier devienne insoluble.

Quand, en 1997, je suis arrivé à Koudougou, je me suis rendu compte que de nombreuses femmes préparaient le dolo en brulant uniquement des tiges de mil. Cela m'a fait un choc. Cela voulait dire que l'on privait la terre, notre mère, de sa nourriture. Comment allait-elle continuer à nous donner à manger ? Et en effet, à l'hivernage, j'ai vu combien les terres étaient épuisées. Malgré les pluies abondantes, les paysans se plaignaient : « L'eau a manqué à nos cultures ! ». C'est qu'ils ne mesuraient pas la pluie ! Ils contemplaient leurs greniers presque vides !

 

J'ai essayé d'en savoir un peu plus. J'ai interrogé les vieux des villages. Ils m'ont dit qu'autrefois, ils cultivaient le même champ durant trois ans seulement. La première année, ils semaient du sorgho, puis du petit mil et, la troisième année, des arachides. Ensuite, ils laissaient la terre se reposer. Ils allaient cultiver un peu plus loin. « Aujourd'hui, ajoutaient-ils, si tu laisses un bout de terrain sans le cultiver, quelqu'un viendra te le demander pour le cultiver à son compte. On ne laisse plus la terre se reposer. Il n'y a plus de jachère ».

La jachère qui est un élément essentiel de la méthode traditionnelle de culture a disparu dans de nombreuses régions du Burkina. Autrefois, quand il y avait beaucoup d'espace, on pouvait laisser un champ se reposer 20 à 30 ans avant d'y revenir. Aujourd'hui, sous la pression démographique la jachère a disparu ou est en train de disparaître. Si elle n'est pas remplacée par un apport régulier en fumure organique (comme dans la méthode zaï), les terres se détériorent. Dès que la densité de population atteint les 30 habitants au km², les difficultés apparaissent. Si l'on continue à travailler de la même façon, quand la densité atteint 60 habitants au km², la situation devient dramatique. C'est la chute libre : non seulement on ne laisse plus la terre se reposer, mais on ramasse tout ce qui peut bruler (et donc ce qui devait nourrir la terre), pour le bruler à la maison. Les tiges de mil... mais aussi les bouses de vache. C'est la catastrophe. Or la densité moyenne de la population au Burkina est déjà de 55,4 hab/km². C'est dire que la plupart des régions ont dépassé les 30 ha/km², et qu'un bon nombre ont dépassé les 60 hab/km² (ce qui sera la moyenne nationale en 2012).

Il est temps d'agir fortement, ou de réagir. Il y a urgence ! En effet, si de nombreuses femmes préparent le dolo en brulant uniquement des tiges de mil, c'est que le bois manque. Et si le bois manque, c'est que la population a augmenté. Elle a donc besoin de plus de bois, mais aussi de plus de champs ! Et pour obtenir un nouveau champ on commence à abattre de nombreux arbres... Le déséquilibre est vite atteint.

Bien sûr, beaucoup a été fait. Mais on est loin de faire tout ce qui doit être fait ! Et ce n'est pas un séminaire de plus à Ouagadougou sur les changements climatiques qui va faire changer les habitudes des paysans des zones fortement peuplées du monde rural. Le développement durable n'est pas une option. C'est une nécessité, une urgence.

Quand j'essaie d'aborder cette question là avec les paysans, je ne me demande pas comment traduire « développement durable » en mooré, jula ou autres... Je préfère aborder cette question en ces termes : « Pensez-vous que vos enfants cultiveront les mêmes terres que vous ? »

Cette question, je me souviens l'avoir posée à Boni, il y a quelques années. C'était du temps où tous les habitants de ce village cultivaient le coton en alternance avec le maïs. A cette question, les visages se sont fermés. Un lourd silence a régné. Puis un des paysans a pris la parole pour dire : « Quand nous avons semé du coton pour la première fois, nous avons fait trois tonnes de coton à l'hectare. Puis peu à peu les rendements ont baissé. Quand nous ne récoltions plus qu'une tonne à l'hectare, nous avons été invités à mettre de l'engrais chimique sur nos pieds de coton. Effectivement, les rendements ont dépassé à nouveau les deux tonnes à l'hectare. Mais là encore, peu à peu, les rendements ont baissé. On nous a dit : Si vous ne voulez pas que vos rendements descendent en dessous de une tonne à l'hectare, vous devez ajouter du compost, de l'engrais organique, à l'engrais chimique. De fait, ceux qui le font récoltent plus de deux tonnes à l'hectare. Mais que va-t-on nous dire la prochaine fois ? »

J'ai répondu alors : « N'attendez pas qu'il soit trop tard. Puisque vous voyez vous-mêmes que l'alternance coton-maïs ne vous permet pas de garder bonne la terre, essayez autre chose. Cherchez vous mêmes. Informez vous. Certains proposent des rotations sur 4 ans. Coton, maïs, niébé ou arachide ou soja ou sésame... et du fourrage la quatrième année. Oui, du fourrage, de « l'herbe », pour nourrir vos animaux. Et donc pour développer l'élevage, et nourrir la terre avec les déchets de vos animaux ou le compost que ces déchets vous auront permis de faire en quantité. ». Il est temps d'essayer plusieurs formules et de voir celles qui permettent de garder bonne la terre tout en vous offrant des revenus rémunérateurs.

 

Koudougou, le 27 janvier 2009
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

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