Au Burkina, les étuveuses valorisent le riz local

Le vendredi 4 juillet 2008, je me suis rendu (avec un groupe international de jeunes adultes) à Bama, à la rencontre des producteurs de riz. Nous avons été impressionnés par le dynamisme et la détermination des femmes étuveuses.

Le responsable de l’Union des producteurs de riz l’a reconnu : ce sont leurs femmes qui, en 2004 et 2005, ont sauvé la filière riz quand celle-ci se portait mal. Aujourd’hui, le riz local se porte mieux. Il est même très recherché. Aussi, les femmes transformatrices redoublent d’ardeur au travail. Elles se sont organisés en 8 groupements, un par quartier. Et ces groupements forment une union : l’Union des étuveuses de Bama : Fasobadenya (badenya = l’entente ou la fraternité).

Nous avons pu échanger avec la présidente de l’Union, madame Mariam Sawadogo. Elle a  nous a expliqué ce que veut dire « étuver le riz ». Pour commencer, il faut mettre le riz paddy (le riz avec son enveloppe) à tremper dans l’eau toute une nuit, puis le faire cuire à la vapeur (une bonne demi-heure), et le faire sécher. Une fois bien séché, on le fait passer par la décortiqueuse. Ensuite le riz est vanné, et il est enfin conditionné dans des sacs pour la vente. Aujourd’hui, les étuveuses de Bama (et toutes celles du Burkina) sont heureuses. Leur riz est apprécié, et il se vent bien. Elles vendent leur riz à 350 F le kilo, alors qu’il y a peu de temps, elles le vendaient à 200 F. Aussi, travaillent-elles avec ardeur et dans la joie. L’animation ne cesse pas de la journée autour de la décortiqueuse.

Et pourtant, la qualité du riz étuvé est encore sous-estimée.

La preuve : les étuveuses de Bama vendent leur riz à 350 F le kg, alors que sur le même marché, le riz blanc de Bama est vendu à 400 F le kilo. Les étuveuses expliquent cela en disant que le riz étuvé est plus souple, et donc, qu’il donne un meilleur rendement quand il passe dans la décortiqueuse. A Bama, où la décortiqueuse est de bonne qualité, elles obtiennent un rendement de 68 %, alors que pour le riz blanc, le rendement est inférieur à 60 %. De fait, cela peut expliquer pourquoi les femmes acceptent de vendre à ce prix.

Mais cela montre surtout deux choses :

1. La valeur du travail des femmes rurales est très peu reconnue. Deux exemples. Au village, le plus souvent, les poteries sont fabriquées et vendues par les femmes des forgerons. Le prix qu’elles demandent couvrent à peine le prix du bois utilisé pour faire cuire ces poteries. Deuxième exemple. A la récolte, un sac de petit mil est souvent vendu au même prix qu’un sac de gros mil. Et, pourtant, les femmes ont dû travailler de longues heures pour détacher les graines de petit mil de leurs épis. Beaucoup plus que pour battre le gros mil.

Une étude du Plan d’actions Filière Riz (PAFR) de juin 2005 estime qu’en moyenne une étuveuse gagne seulement 10 F par kilo de riz étuvé. Vraiment très peu quand on voit tout le travail que cela demande. A Bama, il est permis de penser qu’elles gagnent davantage car la décortiqueuse que nous avons vu leur offre un assez bon rendement. De plus, certaines femmes utilisent des étuveuses qui peuvent traiter 100 kg de riz paddy en une fois, tout en consommant peu de bois.

2. Mais cela montre surtout que les femmes étuveuses n’arrivent pas encore à vendre la qualité de leur produit. Peut-être n’en ont-elles pas encore pris conscience. La qualité du riz étuvé se révèle à la cuisson : les grains demeurent fermes et ne collent pas. Le riz est aussi plus nutritif car les protéines et vitamines sont diffusées au centre du grain pendant l’étuvage. Grâce à sa plus grande dureté, le riz étuvé se conserve mieux. Enfin, comme il a déjà subit une certaine cuisson (en passant à la vapeur), le riz étuvé cuit plus rapidement. Qualité appréciée des cuisinières. Qualité qui permet d’économiser de l’énergie à la cuisson : économie de bois ou de gaz, le plus souvent.

Toutes ces raisons font, qu’à mon sens, les étuveuses ne devraient pas accepter de vendre leur riz moins cher que le riz blanc décortiqué. Cependant, pour pouvoir vendre « la qualité » de leur riz, les étuveuses ont encore quelques efforts à faire. Quand le riz étuvé sort de la décortiqueuse, et qu’il a été vanné, il contient encore quelques éléments indésirables. Je veux parler de ces points noirs (c’est à dire de ces graines qui ne sont pas parvenues à maturité, et qui, petites de taille, sont passées telles quelles entre les meules de la décortiqueuse). Ce n’est pas bien grave, mais cela fait un très mauvais effet sur la ménagère qui cherche un riz de qualité. Ensuite, il faut commercialiser ce riz dans des sacs qui certifient l’origine et la qualité du produit, y compris la variété du riz paddy à l’origine du riz étuvé.

Comme le riz étuvé donne un meilleur rendement en passant dans la décortiqueuse, on peut accepter de vendre le riz étuvé au prix du riz blanc, mais pas moins. Ainsi, les avantages du riz étuvé seraient partagés entre les transformatrices et les consommateurs. Ce qui devrait permettre de fidéliser rapidement les consommateurs au riz étuvé, tout en offrant aux étuveuses un prix rémunérateur.

En généralisant les étuveuses fabriquées à partir d’un fût de 200 litres, les décortiqueuses de qualité , en débarrassant le riz étuvé de certaines impuretés, et en soignant les emballages (ces deux dernières activités entraînent  un léger surcroît de travail, mais largement compensé par la diffusion des nouvelles étuveuses), une première estimation permet de penser que les transformatrices rurales devraient pouvoir obtenir un gain de 70 F par kilo au lieu des 10 F obtenus en 2005. Il y a peu de catégories professionnelles qui peuvent espérer un tel gain de productivité dans les années qui viennent ! Et tout cela ne demande pas de grands investissements.

Enfin, il est permit d’espérer que les chefs d’états de l’Afrique de l’Ouest tirent les leçons des derniers évènements relatifs à la vie chère. Dormir sur la natte d’autrui, c’est dormir par terre. Si les chefs d’états s’engageaient à ne plus accepter que du riz de mauvaise qualité vienne casser la filière riz de nos pays, s’ils garantissaient un prix rémunérateur aux producteurs de riz et aux transformatrices (en instaurant, si besoin était, des taxes variables sur le riz à l’importation, en fonction de la situation du marché mondial), alors la filière riz serait promise à un bel avenir, et les plaines rizicoles deviendraient rapidement des pôles de développement de nos pays.

 

Koudougou, le 9 juillet 2008
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

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