Les femmes étuveuses veulent se faire entendre !


Le lundi 29 mars et le mardi 30 mars 2010, une réunion de femmes qui étuvent le riz (appelées communément « étuveuses ») se sont retrouvées à Ouagadougou. C’est la première fois qu’une telle rencontre a eu lieu. Elles venaient des grandes plaines rizicoles et de bas-fonds aménagés. Elles sont venues pour échanger leurs expériences et pour étudier l’intérêt de se regrouper en Union Nationale, selon « la loi 14 », loi burkinabè qui organise les activités du monde rural par filière. Cette rencontre a permis des échanges très intéressants. Elle a permis aussi de mesurer la détermination de ces femmes à se faire entendre.

Ouagadougou, le mardi 30 avril 2010 : la présidente d'une des Unions des étuveuses de Bama(à droite sur la photo) donne son témoignage. A sa gauche la secrétaire de l'Union des Producteurs de Riz.A Bama, la balle du riz sert de combustible pour étuver le rizIl y a quelques années, qui avait entendu parler de ces femmes qui, comme à Bama et à Banzon, ont sauvé la filière riz en valorisant le riz paddy. En transformant le riz paddy en riz étuvé, appelé aussi, dans le langage populaire « riz américain ». Cette dernière appellation fait référence au riz du Secours Catholique Américain, très répandu il y a seulement quelques années. Il s’agissait de riz précuit (en anglais « parboiled »). Aujourd’hui, ces femmes veulent être reconnues, elles veulent être entendues. Pour cela, elles s’organisent en groupements, voire en union de groupements (comme à Bama, ou à Niassan au Sourou). C’est ainsi que les étuveuses réunies à Ouagadougou représentaient déjà plusieurs milliers de femmes organisées en différents types de groupements et d’associations.

Mais beaucoup d’autres femmes ne sont pas organisées. Ces dernières vendent leur riz étuvé directement sur le marché de leur village ou des villages voisins. Le riz est alors vendu, le plus souvent, à un prix très bas, de l’ordre de 240 à 250 F le kilo. Mais, pour le consommateur, la qualité du riz n’est pas garantie. Et ce riz peut se retrouver dans de jolis sacs imprimés par les commerçants. Il sera revendu plus de 300 F le kilo par ces commerçants.

Sac de riz garantissant la qualité et l'origine du riz étuvé13 femmes du groupements présentent leurs vélos neufsC’est pour commercialiser du riz étuvé de qualité que les étuveuses s’organisent en groupements et en unions locales. Grace à des formations, des aires de séchage, des contrôles internes de qualité… ces associations mettent sur le marché uniquement des produits de qualité, dont l’origine est elle-même garantie . Et les étuveuses sont alors capables de conquérir de nombreux marchés dans le secteur moderne. Actuellement ce riz de qualité est vendu, sur place, entre 300 F et 360 F. Et à 400 F le kilo à Ouagadougou.

Et voilà qu’un nouvel acteur, et de taille, se positionne sur le marché du riz étuvé burkinabè. Il s’agit de la SONAGESS (Société Nationale du Stock de Sécurité Alimentaire). Il achète le riz étuvé à 320 F le kilo. Ce prix, pas très élevé, reste intéressant pour les étuveuses, du fait de la qualité de l’acheteur. En effet les femmes n’ont pas besoin de transporter leur riz à Ouagadougou ou Bobo-Dioulasso. La SONAGESS vient enlever la marchandise dans les différentes plaines ou bas-fonds. Et surtout, elle paye aussitôt. Et ce n’est pas tout. Si le contrat porte, par exemple sur 300 tonnes, la SONAGESS accepte de venir réceptionner la marchandise par tranche de 30 tonnes. Et de régler aussitôt les 30 tonnes réceptionnées. Cela permet aux producteurs de riz et aux étuveuses d’entrer rapidement en possession de leur argent.

C’est ainsi que les étuveuses du groupement « Song-taaba » (l’entraide) de Niassan a livré, sur place à Niassan, 60 tonnes de riz étuvé. Après un rapide contrôle de qualité, la SONAGESS a pris le stock et les femmes ont été payées par chèque (en fait par l’intermédiaire de l’association des producteurs de riz qui possède un compte en banque à Tougan. Quelques jours plus tard, l’argent était disponible, et les femmes ont été payées. Certaines ont reçu plus de 200 000 F. C’était la première fois de leur vie qu’elles touchaient une telle somme.  13 d'entre elles se sont offertes un vélo neuf (voir la photo ci-dessus). Loin de gaspiller leur argent, elles ont également déposé à la Caisse d’Epargne et de Crédit de Niassan de quoi acheter comptant du riz paddy dans l’espoir de recommencer rapidement une opération semblable. Celle-ci est déjà engagée et porte sur 40 tonnes de riz étuvé, ce qui correspond au reste de riz paddy (60 tonnes environ) de la coopérative de producteurs CANI. Les femmes du groupement ont pu payer comptant plus de 30 tonnes de ce riz paddy qu'elles sont en train d'étuver.

Dans un mois, la récolte de « la saison sèche » va commencer. Le riz paddy sera à nouveau disponible. Si la SONAGESS accepte de laisser le riz paddy aux étuveuses, la pauvreté va reculer fortement à Niassan, et dans les autres plaines rizicoles du Burkina.

Je m’explique. A la dernière récolte, pour récupérer la subvention accordée pour l’engrais, la SONAGESS a pris d’office la moitié du riz paddy apporté par les producteurs à leur coopérative. Si la SONAGESS laisse ce riz paddy aux étuveuses pour leur acheter le riz une fois étuvé les femmes vont doubler leurs revenus. Une demande a été faite au Directeur Général en ce sens. Elle a été bien accueillie. La réponse officielle est attendue avec impatience.

Si le Gouvernement burkinabè et la SONAGESS veulent vraiment faire reculer la pauvreté dans les plaines et les bas-fonds rizicoles du Burkina, ils en ont donc les moyens !

Les étuveuses, elles, sont prêtes à renforcer leurs organisations, et par là, la qualité et la quantité du riz étuvé burkinabè, au profit des consommateurs, et de la balance commerciale du pays.

Koudougou, le 5 avril 2010
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

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