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Agitation autour du coton,
mais peu d'espoir pour le coton africain !

   Ce mois-ci, mars 2007, a vu la tenue de différentes rencontres au niveau international pour tenter de résoudre la crise du coton africain. Nous vous proposons, ci-dessous, trois articles qui permettent de se faire une idée de la situation du coton africain 2 à 3 mois avant la nouvelle campagne agricole de l'Afrique de l'Ouest.

 

Le refus de concessions minimes sur le coton n'est pas tenable
 

Nicolas Imboden, directeur exécutif d'IDEAS Centre, ancien délégué du Conseil fédéral aux accords commerciaux, à la veille d'une conférence sur le coton, avoue qu'il perd confiance.

Les négociations de Doha sur la libéralisation du commerce et le développement, sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), piétinent. Ceci bien que les grands de ce monde aient multiplié les déclarations sur l'importance des négociations et le bien-fondé du système multilatéral pour l'humanité tout entière. Ceci aussi malgré le fait que les contours d'un arrangement sont sur la table depuis des mois et que les conditions sont aujourd'hui réunies pour faire quelques concessions.
En effet, les prix agricoles - en hausse à cause de la demande de biocarburants - permettent aux grandes puissances de réduire les subventions sans trop pénaliser leurs agriculteurs.
En apparence, ni les Etats-Unis, ni l'Union européenne n'ont de réel intérêt à clore ce cycle: les données économiques fondamentales sont bonnes, le commerce prospère. Pour les productions occidentales, les marchés sont suffisamment ouverts pour ne pas trop s'inquiéter. Pourquoi donc faire des concessions qui risquent de ne pas être populaires au sein d'un Congrès américain de plus en plus protectionniste ou auprès de paysans européens dont le pouvoir de mobilisation politique va bien au-delà de leur importance réelle dans leurs pays?
Les grands de ce monde peuvent attendre. Après tout, cette négociation est le cycle du développement, le cycle du rééquilibrage entre les droits et les obligations des pays pauvres et des pays riches. Les riches devraient donc logiquement donner plus qu'ils ne reçoivent, ce qui est politiquement difficile à vendre.
En revanche, les pauvres, eux, ne peuvent plus attendre. Le coton incarne cette attente aujourd'hui insoutenable. A l'origine, les (ex-)puissances coloniales en ont imposé la culture aux paysans d'Afrique qui ne voulaient pas de «ce truc blanc des Blancs qu'on ne peut manger». Les Européens avaient besoin du coton africain pour faire tourner leurs métiers à tisser quand ils ont perdu l'accès au coton de Louisiane à cause de la guerre de Sécession américaine.
Les Africains ont pris goût à ce qui est devenu l'or blanc pour des millions de petits producteurs partout sur le continent. Le coton représentait l'un des seuls produits exploitables et rentables pour contribuer au développement des dispensaires, des écoles, des voies de communication. Aujourd'hui les régions cotonnières de l'Afrique sont en crise. Leur coton est vendu à un prix déprécié, concurrencé par une production européenne et américaine coûtant le double, voir le triple, mais subventionnée par ces pays riches.
Le problème est simple: 25000 producteurs de coton américains reçoivent quelque 3 à 4 milliards de dollars de subvention par an et appauvrissent 15 millions de petits agriculteurs africains qui survivent plus qu'ils ne vivent. Ces subventions sont contraires aux principes que les puissants tenants du libéralisme ont imposés aux Africains depuis des décennies comme aux engagements pris à l'OMC par ces mêmes pays.
L'équation semble pourtant facile à résoudre. Dans la conjoncture actuelle, les autorités américaines peuvent convaincre leurs 25000 cotonculteurs de cultiver d'autres produits. En effet, on estime que la production de coton américain va diminuer drastiquement ces prochaines années, de nombreux producteurs abandonnant probablement le coton pour le maïs ou le soja, destinés à «nourrir» les voitures américaines.
Malheureusement, les Américains refusent toujours d'appliquer la décision de Hong Kong de traiter le coton d'une manière ambitieuse, rapide et spécifique. Ils ne sont pas prêts à faire ce petit pas qui représenterait un pas de géant pour la crédibilité du système multilatéral.
Le directeur général de l'OMC, conformément au mandat confirmé à Hong Kong, a convoqué à Genève demain et vendredi une conférence sur la cohérence entre développement et commerce dans le coton. Pour saisir ce qui pourrait être une dernière chance pour les producteurs africains de coton, les ministres du Commerce et de l'Agriculture de nombreux pays d'Afrique seront présents. Seront-ils accueillis par les décideurs des pays de l'OCDE prêts à discuter d'une solution ou face à des bureaucrates sans pouvoir de décision? Cette conférence représentera-t-elle la concrétisation du mandat de Doha, à savoir la recherche d'un commerce juste et au service du développement de tous? Ou sera-t-elle (seulement) consacrée à des discussions sur l'aide, entre bénéficiaires souhaitant sauver leurs filières et donateurs soucieux d'éviter d'aborder la cruciale question des subventions?
Conférence de la dernière chance ou nouvelle occasion manquée? Malheureusement, il a y toutes les raisons de craindre un nouveau dialogue de sourds.
Nous payons des centaines de milliards de dollars en Irak et en Afghanistan pour assurer notre sécurité, mais nous ne sommes pas prêts à accorder aux 15 millions de producteurs de coton africains le droit de vendre leur produit sur un marché mondial libre de subventions. Les Africains ne comprennent pas. Moi, j'y perds mon latin et ma confiance dans le système multilatéral.
 

Le Temp (http://www.letemps.ch/), le 14 mars 2007
Nicolas Imboden

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